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  • Automne bleu

    C'est un livre de photos signées Cyrille Vidal, avec des textes d'Alain Dubos et de ma pomme, publié aux éditions Passiflore (*). Commandez-le si vous aimez la poésie des matins de partage en forêt landaise, lorsque le beau souci qui anime les amoureux des oiseaux (les palombes, en l'occurrence), est juste de les jouer, de les convaincre de se poser -d'abord sur les arbres, puis de descendre au sol- en les séduisant à la voix (en roucoulant) et en jouant des appeaux (ah, les traîtres!), puis de les prendre au filet, et après de les relâcher, et de ne jamais leur tirer dessus, comme dans certaines palombières qui tiennent aussi du restaurant de campagne et du havre de l'amitié...

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  • Le tour du monde dans une tasse à café

    Papier paru dans un numéro spécial de L'EXPANSION et L'EXPRESS les 1er et 15 octobre : 

    IMG_2103.jpgQu’y a-t-il de commun entre un Américain sirotant son café très allongé dans un mug en carton au volant de sa voiture et un Italien dégustant son espresso stretto à la terrasse d’un café célèbre ? Pas grand chose, sinon que l’un comme l’autre obéissent à leur culture en dégustant chacun à sa manière sa boisson favorite. 

    Par Léon Mazzella

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    Les modes de consommation de la « cerise » torréfiée varient considérablement d‘une culture à l’autre. Ainsi, du souci extrême apporté à la qualité d’un café serré (stretto), généralement désigné par le mot espresso, dans le moindre bar d’Italie, car chaque habitant de la Botte a le souci de la larme de café concentré qui emplit chacune des tasses qu’il déguste. Le café qui est servi dans le saint de saints, au Gran Caffè Gambrinus, Via Chiaia à Naples, est une institution. Littéraire, il était assidûment fréquenté par Gabriele d’Annunzio, puis par Benedetto Croce, et quantité d’intellectuels, journalistes et hommes politiques de Campanie et au-delà. Le café espresso qui y est servi est tout simplement divin, comme l’apprécierait le producteur italien du film en train de se faire (scène culte), dans « Mulholland Drive », de David Lynch, et qui ne trouve jamais un café digne de ce nom à sa convenance, lorsqu’il se rend à des réunions de travail à Hollywood. On ne plaisante jamais avec la qualité d’un espresso, du Trentin-Haut-Adige à la Calabre.

    Cafés italiens mythiques

    Et au Gambrinus, même si l’on est pas gourmand, il convient d’accompagner son caffè (de toute façon stretto) d’une sfogliatella, cette pâtisserie napolitaine en forme de coquillage équivoque (lire page 28). Boire un café en Italie est souvent associé à un lieu public. Parmi les cafés célèbres où cette boisson possède toutes les qualités requises pour satisfaire les palais amateurs de nectar un rien amer avec ce je –ne-sais-quoi de délicat contenu dans la mousse qui recouvre un liquide puissant et rond à la fois, le mythique Florian, à Venise, est de ces hauts-lieux-là. À l’instar du Gilli à Florence, du Camparino à Milan, du Fiorio à Turin, du Mangini à Gênes, du Greco à Rome, ou encore du Tasso à Bergame, tous célèbrent et  subliment la simple tasse de « caffé » en accordant un soin constant à sa préparation ainsi qu’à son service, et transforment depuis quatre siècles le café en œuvre d’art gourmet. N’oublions pas que c’est à Venise que le café apparaît en Europe, en 1604. Henry James en parle dans « Venice », ainsi que dans « Les Papiers d’Aspern », non sans rappeler que la Sérénissime fut une plate-forme du commerce international du café dès le XVIIe siècle. Le Florian était alors une des nombreuses boutiques de café de la cité. Mais il acquiert sa réputation grâce, encore, aux nombreux écrivains et artistes de tous horizons qui y tiennent salon, s’y prélassent et sacrifient à l’addiction mesurée de la boisson venue d’Orient. C’est Floriano Francesconi qui ouvrit le Florian en 1720. Goethe, Byron, Stendhal, Constant, Sand, Mme de Staël, Musset, Gautier, Pound… De Casanova à Philippe Sollers, la littérature mondiale est passée, passe et passera encore par le Florian pour y déguster un café en terrasse ou dans l’un de ses salons alcôves.

    Chez lui, l’Italien affectionne particulièrement l’élaboration de son nectar favori avec une cafetière moka express, à pression, dite « napolitaine », de type Bialetti – du nom de son inventeur (bien que ce soit un Français nommé Bernard Rahaud qui soit à l’origine du principe, en 1822). Cette petite machine en aluminium, appelée justement la macchinetta, ou bien la caffettiera, est devenue le symbole du café italien, concentré, puissant, servi très chaud, toujours fait à l’instant et jamais réchauffé. 

    La grolla valdôtaine

    Certes, il existe des particularismes, dans la Botte comme partout ailleurs. Ainsi du Val d’Aoste, dans le nord de l’Italie, où une coutume veut que l’on boive le café de manière communautaire, conviviale, dans la « grolla » (l’équivalent de la grolle savoyarde), qui est une sorte de « coupe de l’amitié » en terre cuite, percée de plusieurs trous (on parle de grolla à quatre, six, huit, voire dix becs) afin de permettre à plusieurs convives de boire, en partage, au même récipient. Le café qui y est introduit est généralement fort (cela va sans dire en Italie) et très sucré. On peut y ajouter de la grappa, l’alcool blanc italien par excellence, ainsi que des écorces d’agrumes (oranges, citrons) : cela devient le café « à la valdôtaine » (du Val d’Aoste), et ce rituel, soulignent les observateurs, n’est pas sans rappeler celui du Saint-Graal. 

    L’Italie a son propre café au lait (chauffé à la vapeur, celui-ci devient mousseux) : le cappuccino, que l’on saupoudre de chocolat amer. Il ne faut pas confondre le cappuccino avec le café con nata (à la crème), ou avec le macchiato (tacheté), qui est un espresso à la mousse de lait chaud fouetté. Additionné de chantilly, le café devient viennois.

    En Vénétie, le café est parfois servi additionné d’une goutte d’amaretto (liqueur d’amande). Cette façon de l’enrichir –les puristes disent de le dénaturer - , se retrouve en Espagne, où il est d’usage d’ajouter une goutte d’anisette dans son café. Cela s’appelle le « carajillo » (prononcez la « jota »). C’est l’équivalent, en quelque sorte, de notre café-calva, appelé aussi « café normal » dans certains bars de Normandie ayant érigé la défense de leur alcool régional, le Calvados, en militantisme provocateur…

    Mugs pour light allongés 

    L’Américain ordinaire (Hemingway, par exemple, buvait surtout des litres de Bloody Mary à Venise), préfère le café allongé, extrêmement léger et servi dans des mugs en plastique ou bien cartonnés, refermés afin de garder la chaleur de la boisson, aux stretto et autres espressos italiens. Les Américains sont les premiers consommateurs de café au monde. Ils n’apprécient guère les cafés parfumés et encore moins les cafés fortement torréfiés. Ainsi font-ils leur choix judicieusement chez les deux géants de l’industrie du café que sont Starbucks et Peet’s, nés sur la côte ouest et qui ont conquis le monde. Starbucks propose aujourd’hui quantités de cafés pour tous les goûts, du « jus de chaussette » vilipendé par l’Italien au serré propre à écoeurer le Texan. L’Américain ordinaire apprécie par conséquent le café peu torréfié, faible en goût, auquel il ajoute volontiers un nuage de crème. Ce sont ses habitudes de consommation qui l’obligent à doser faiblement son café. En effet, lorsqu’on boit à toute heure du jour, au travail, en se déplaçant ou bien devant sa télévision, un soda ou un café, il vaut mieux que ce dernier soit allongé. Notons que certaines sectes, comme celle des Mormons, interdisent la consommation du café, au nom de principes religieux fondés sur la santé totale du corps, considéré  comme un don précieux de Dieu.

    Cardamome ou cannelle

    Au Yémen, berceau de la culture du café, il est d’usage d’accomplir un petit cérémonial appelé « gawha » dans la préparation du breuvage. Celui-ci est appelé « qisr » et il est réalisé à partir des cerises (avec leur péricarpe) séchées ou grillées. Celui qui prépare le café pour le groupe doit tout réaliser seul, de la torréfaction au service en passant par le pilage au mortier. Additionné d’eau, la boisson est chauffée sur des braises dans une sorte de pot long et étroit faisant office de cafetière, en cuivre, parfois en bronze, à long manche, appelé « ibrik » en Turquie, et volontiers additionné de sucre, mais surtout de quelques graines de cardamome écrasées entre deux doigts –une graine par tasse suffit -, ou bien d’un morceau de cannelle, ou encore d’un peu de gingembre. Les Yéménites consomment également le thé en y ajoutant des épices. Lorsqu’ils ne le dégustent pas dans un café, les hommes le préparent ainsi n’importe où, au bord d’un chemin, dans les champs, dans la rue. De même qu’ils sacrifient quotidiennement – en général après le déjeuner – au rite du qât, cette plante légèrement hallucinogène qui les transporte, les hommes accordent une importance particulière au rituel du café – qui est, rappelons-le, un psychotrope -; soulignant ainsi leur fierté quant à la paternité de la culture de la petite graine.

    « A la turque »

    Le café « à la sultane » ou « à la turque » correspond à une façon de préparer le café, originelle et brute : la coque de la graine est plongée dans l’eau seule ou bien avec la « bunn » (la baie) brûlée et réduite en poudre, nous dit Annie Perrier-Robert (« Le café », Solar), puis le mélange est porté à ébullition. L’eau se charge ainsi d’un marc qui n’est pas du goût de chacun. En effet, le café à la turque n’est pas filtré, et les Européens répugnent à boire et manger en même temps leur café. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle le café viennois connut un succès fulgurant, dès lors que son inventeur, le Polonais Franz Georg Kolschitzky, eut l’idée (dans les années 1683) de filtrer sa préparation « à la sultane » et d’y ajouter du sucre (puis de la crème fouettée), ce à partir du café récupéré dans des sacs abandonnés par les Turcs ayant assiégé la capitale autrichienne (lire page 6). Si l’on emploie que la coque, le café (turc) se nomme « qichariya » (qichra signifie écorce), et si l’on fait usage du grain avec la coque, on le nomme « bunniya ». L’amertume doit être de toute façon bien présente pour que le café soit digne d’être servi. Les Turcs ajoutent traditionnellement à leur café des clous de girofle, ou de la cardamome comme au Yémen, parfois de l’essence d’ambre ou de l’anis des Indes. Notons que l’Orient possède les secrets de l’hospitalité : le cérémonial du café revêt aujourd’hui encore des atours précieux et sérieux. L’art de recevoir et de contenter son hôte sont des valeurs extrêmes dans l’ensemble du Moyen-Orient. Le moment du café a même valeur de « grand examen », précise Anne Perrier-Robert, pour la jeune fille à marier. Ses « bonnes manières » sont alors jugées, ainsi que son savoir-faire : par exemple, le café turc (dûment sucré) doit impérativement être porté à ébullition à deux reprises avant d’être prêt, ceci après un repos de une à deux minutes. Au moment de le servir, il convient de déposer un peu de la mousse qui surnage, dans chaque tasse, puis de servir le café, et enfin de jeter quelques gouttes d’eau froide afin de précipiter le marc au fond des tasses. Après quoi, la jeune fille sera jugée bonne à marier. Ou non. L’affaire est on ne peut plus sérieuse, dans les contrées maternelles d’une boisson devenue universelle et qui est consommée par un être humain sur trois. Un proverbe éthiopien énonce clairement : « Buna dabo naw » : le café est notre pain.

    Cafés Viennois

    Sait-on que l’Allemagne est le deuxième importateur et le deuxième consommateur mondial de café ? D’aucuns jureraient que l’Italie, ou la France, tiennent cette position. Or, la consommation de café a explosé ces quarante dernières années outre-Rhin, les cafés à tendance acide s’y taillent la part du lion, loin devant les cafés solubles, qui connaissent un succès ailleurs, mais que l’Allemand juge dépourvus de qualités organoleptiques suffisantes. 

    L’Autriche est indissociable du café viennois, à la crème fouettée (voire à la chantilly) et des légendaires cafés de la capitale, que l’on dit littéraires car nombre d’écrivains les fréquentent assidûment depuis l’époque splendide de l’empire austro-hongrois. À l’aube du XXe siècle, Stefan Zweig est de ces auteurs cultes qui écrivent dans les cafés de la ville de Freud, son ami. Il se rend fréquemment aux cafés Beethoven, Reyl et Rathaus pour y déguster son breuvage favori, avec ou sans crème d’ailleurs. L’une de ses nombreuses nouvelles, figurant dans le recueil intitulé « La Peur », met en scène un café viennois, le café Gluck, et un érudit singulier, « Le Bouquiniste Mendel » Atmosphère : « À Vienne, un café vous attend à chaque coin de rue. (…) Dans mon oisiveté, je commençais déjà à m’abandonner à la molle passivité qui émane subrepticement de chaque véritable café viennois. (…) J’observais la demoiselle de la caisse, qui distribuait mécaniquement aux garçons le sucre et les cuillères pour chaque tasse de café… ».

    Irish coffee

    Si le Lapon a pour coutume d’additionner de la graisse de renne à son café et de ne jamais le sucrer, le Russe, lui, y ajoute volontiers une rondelle de citron comme nous le faisons dans l’eau pétillante.  Le Grec le boit frappé, et il a largement contribué au succès d’une boisson estivale, le café glacé (avec ou sans lait). L’Irlandais préfère adjoindre à son café du whiskey (avec un « e » pour le distinguer du Scotch whisky). C’est dans son roman irlandais, « Un Taxi mauve », que Michel Déon décrit la préparation minutieuse, par « une tenancière et avec un soin jaloux » de l’Irish coffee : « …Verres à pied chaud, sucre bien fondu dans le whiskey brûlant, café d’encre et faux col de crème glacée. Une jeune fille aux joues rosies, fraîche comme Mollie Malone, nous les apporta avec des grâces d’équilibriste, sans qu’une goutte de crème troublât le café. » Les Anglais, enfin, grands buveurs de thé devant l’éternel, négligent le café authentique, au point de lui préférer le café soluble, jugé indigne par tout amateur qui se respecte. Le chansonnier à l’humour caustique Pierre-Jean Vaillard dit : « Je sais maintenant pourquoi les Anglais préfèrent le thé : je viens de goûter leur café ». Ce qui n’empêche évidemment pas de nombreux aficionados de l’espresso et citoyens de Sa Majesté, de fréquenter les bars londoniens dédiés au culte de cette boisson incomparable ; lorsqu’elle est élaborée « à l’italienne ». L.M.

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    ORIENTALISMES

    Gérard de Nerval, dans son « Voyage en Orient », effectué en 1843, est saisi par l’atmosphère des cafés du Caire, où il découvre la danse du ventre et surtout la « liqueur ambrée » - ainsi nomme-t-il poétiquement le café -, dont il se délecte. « Le kahwedji {qui a la charge de préparer le café} sait bien qu’il faut sucrer la tasse, et la compagnie sourit de cette bizarre préparation. (…) Le foyer est toujours garni d’une multitude de petites cafetières de cuivre rouge, car il faut faire bouillir une cafetière pour chacune de ces fines-janes {pour « findjân » : petite tasse à café} grandes comme des coquetiers. »

    Le poète Constantin Cavafy hante les cafés populaires d’Alexandrie, sa ville, au début du XXe siècle, et il puise l’inspiration dans ces lieux mal famés, peuplés de petites gens qui boivent des cafés jusqu’au bout de la nuit. 

    C’est à Istanbul (où un café porte son nom : « Le Piyer Loti », dans le quartier d’Eyoub), que Pierre Loti goûte aux charmes lascifs de l’amour. « Aziyadé », son roman oriental, évoque ces cafés où des conteurs se livrent à des récits captivants, tandis que les clients fument le narguilé et consomment force cafés : « … S’arrêter à tous les cafedjis. (…) Boire le café de Turquie dans les microscopiques tasses bleues à pied de cuivre. (…) On m’apporte mon narguilé et ma tasse de café turc, qu’un enfant est chargé de renouveler tous les quarts d’heure… »  L.M.

     

  • Belles plumes d'Algérie

    Papier paru dans le hors-série de L'EXPRESS, actuellement en kiosque, consacré aux Pieds-Noirs (rédaction en chef : Philippe Bidalon et Léon Mazzella) :

     

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    La littérature pied-noire naît avec Camus, mais le maître a engendré et continue d'engendrer pléthore de bons auteurs pieds-noirs.

    Par Léon Mazzella

     

     

    La littérature pied-noire – de qualité- naît au milieu des années trente avec les premiers textes d’Albert Camus, comme « L’Envers et l’endroit », et « Noces », publiés par Edmond Charlot. Cet éditeur libraire algérois fit beaucoup pour cette littérature naissante, avec son confrère Baconnier (auquel on associe le nom de Charles Brouty, illustrateur célèbre), et qui publia notamment « Jeunes saisons » d’Emmanuel Roblès, ainsi que des textes algériens capitaux, comme « Jours de Kabylie », de Mouloud Feraoun. Les auteurs phares de cette pépinière furent regroupés autour de « L’Ecole d’Alger » avec Charlot pour éditeur, et comptait, aux côtés d’Albert Camus, Emmanuel Roblès, Jules Roy, le philosophe Jean Grenier, le romancier René-Jean Clot ou encore le poète Max-Pol Fouchet. Ainsi que Gabriel Audisio et Jean Sénac. 

    Donc, Camus. Avec  « Noces », « L’Eté », « La Peste », « L’Etranger », « Le Premier homme »… L’ombre tutélaire du Nobel 1957 plane sur la littérature pied-noire comme celle d'un mancenillier. Sa génération connut de grandes plumes. Il n'est qu'à citer Jules Roy (1907-2000), dont la précieuse saga « Les Chevaux du soleil » (Omnibus), ainsi qu’un livre devenu un classique, « La Guerre d’Algérie» (Bourgois), demeurent des ouvrages majeurs, sans concession le second, et inaltérables. Emmanuel Roblès (1914-1995), qui fit tant pour les écrivains pieds-noirs et algériens aussi en qualité d’éditeur au Seuil, dépeint, entre autres dans « Les Hauteurs de la ville » et dans « Jeunes saisons » (Seuil), le petit peuple d’Oran avec une immense tendresse que l’on retrouvera plus tard dans les romans de Louis Gardel. Algérois comme Camus, habité par Jules Roy, vivant à Paris, ce romancier puissant et délicat, éditeur au Seuil lui aussi, auteur du célèbre « Fort Saganne », traverse son œuvre au fil de l’Algérie. Et ce, depuis « L’Eté fracassé » jusqu’à « La Baie d’Alger » et « Le Scénariste », en passant par « Couteau de chaleur », « Notre homme », ou encore « Dar Baroud » (Seuil). Tous disent l’Algérie heureuse avec justesse, et aucun des personnages ne gémit jamais sur le paradis perdu ; ce qui est salutaire. Une autre voix précieuse est celle de Frédéric Musso, romancier de talent, poète concis et biographe avisé de Camus, dont il faut tout lire, notamment « Martin est aux Afriques » et « L’Algérie des souvenirs » (La Table ronde).  

     

    Romanciers sans pathos

    Et puis, il y a tant d'auteurs. Pêle-mêle : Jean Pélégri, et  « Les Oliviers de la justice », « Le Maboul » (Gallimard), et un livre-testament bouleversant : « Ma Mère, l’Algérie » (Actes Sud). Jean-Pierre Millecam, auteur du sensible « Et je vis un cheval pâle » (Gallimard). Annie Cohen et le si tendre « Marabout de Blida » (Actes Sud), Assia Djebar pour la violence salutaire de « Oran, langue morte » (Actes Sud). Il y a de la  « nostalgérie » soft chez Marie Elbe, et « A l’heure de notre mort » (Albin Michel), chez Janine Montupet, « La Fontaine rouge » (R.Laffont), et chez Marie Cardinal, « Les Pieds-Noirs » (Place Furstemberg). Ainsi qu'avec Norbert Régina, qui fut secrétaire général de la rédaction de L’Express jusqu’en 1987, et l’auteur d’une trilogie romanesque : « Ils croyaient à l’éternité », « La Femme immobile », « Les crépuscules d’Alger » (Flammarion). Dans « L’homme à la mer » (Orban) de Jacques Fieschi aussi. Citons encore Roland Bacri, disparu en mai dernier, qui fut « Le Petit Poète » du « Canard enchaîné » et l’auteur du « Roro », un dictionnaire pataouète qui ne prétendait pas donner le change au (Petit) Robert, car Paul Robert, l’auteur du dictionnaire éponyme, était lui aussi Pied-Noir ! Mention spéciale pour l’absence totale de pathos à deux livres parus récemment : « Trois jours à Oran », formidable roman d'un retour au lieu d'origine signé Anne Plantagenet (Stock), et au vibrant « Le Glacis », de Monique Rivet (Métailié). Sans oublier les Morgan Sportès, romancier né à Alger, Hélène Cixous, Oranaise et grande féministe, auteurs qualifié abusivement de pied-noir, car leur oeuvre n'évoque pas l'Algérie. Il y a par ailleurs le délicat Alain Vircondelet, Algérois et "durassien", l'éditeur né à Mascara Jean-Paul Enthoven, et même le grand Robert Merle! Enfin, last but not least, l'Algérois et "camusien" Jacques Ferrandez dans le domaine de la BD littéraire imprégnée par l'histoire de la présence française en Algérie.

     

    Philosophes de grand renom

    La philosophie n’est pas non plus en reste, avec des noms aussi prestigieux que celui de Jacques Derrida (1930-2004), d’abord. Le théoricien de la déconstruction naît à El Biar en 1930 dans une famille juive, et il restera en Algérie jusqu’en 1949, puis il y retourne pour effectuer son service militaire de 1957 à 1959, soit en pleine guerre. Il y retournera encore dans les années 70 pour y donner des conférences. Sa postface à « Les Français d’Algérie », de l’historien Pierre Nora (Bourgois), inédite jusqu'en 2012, est un bijou de 50 pages à l’adresse de son ami, auquel il reproche fermement d’être injuste à l’égard des Pieds-Noirs. Collègue de Derrida à Normale Sup’, le philosophe marxiste Louis Althusser (1918-1990) est également d’origine pied-noire, puisque issu d’une famille alsacienne installée au sud d’Alger, à Birmandreis. Le très médiatique Bernard-Henry Lévy, est né en 1948 à Béni-Saf. Son arrière grand-père maternel fut le rabbin de Tlemcen. BHL a quitté l’Algérie avec sa famille pour Neuilly-sur-Seine en 1954. Notons que Derrida et Althusser furent ses professeurs, rue d’Ulm. « Le plus beau décolleté de Paris » (Angelo Rinaldi dans L'Expres) a déclaré en 2012 que l’Algérie n’était « ni un pays arabe ni un pays islamique, mais un pays juif et français, sur un plan culturel »… Parmi les écrivains journalistes célèbres, citons rapidement Jean Daniel (Le Nouvel Observateur, qui fit ses armes à L'Express, où il couvrit la guerre d'Algérie). Et Jean-Claude Guillebaud, essayiste et grand reporter, né en Algérie d’un père charentais et d’une mère pied-noire. Il a grandi dans le Sud-Ouest dès l’âge de trois ans. Journaliste, il refusa obstinément d’y retourner pour ne pas raviver ce qu’il nomme « une dislocation originelle ». Jusqu’en décembre 2011, parce que « l’heure était venue » de retrouver l’autre partie de lui-même devant la Baie d’Alger... L.M.

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    GRANDES VOIX ALGÉRIENNES

    Il est impossible de dissocier les grandes voix de la littérature algérienne des années Camus à nos jours, de la littérature dite pied-noire. Parmi celles-ci et dès avant Yasmina Khadra dont l’œuvre rencontre un succès revigorant, nous trouvons Mouloud Feraoun, ses « Jours de Kabylie », et « Le Fils du pauvre » (Seuil). Feraoun n’a pas cinquante ans lorsqu’il est assassiné le 15 mars 1962 à Alger par l’OAS .

    Il y a Jean Amrouche et « L’éternelle Jugurtha » (L’Arche), qui eut ce mot : « L’Algérie est l’esprit de mon âme. La France l’âme de mon esprit ». Mouloud Mammeri  pour « La Colline oubliée » (Seuil). Mohamed Dib le tlemcénien, qui collabora au quotidien progressiste « Alger Républicain » avec Kateb Yacine, auteur de l’inoubliable « Nedjma » (Seuil). Dib signa notamment « Un été africain » (Seuil), dans les pages duquel il nomme toujours les « événement » que l’on appellera officiellement « Guerre » qu’en 1999, par le lapidaire vocable : « ça ». Mohammed Dib est aussi l’auteur d’une trilogie, « Algérie » : « La Grande maison », « L’Incendie », et « Le Métier à tisser » (Seui) qui paraissent au moment des années de braise d’une guerre sans nom et décrivent une terre rurale, pauvre, simple, quotidienne, aux dimensions ethnographiques précieuses. Il y a également Rachid Mimouni et son « Fleuve détourné » (Stock), Tahar Djaout, assassiné en 1993 (« Les Vigiles », Seuil), et plus tard Rachid Boudjedra et son puissant roman « La Répudiation » (Denoël). Citons enfin Leïla Sebbar, romancière et pilote, notamment, d’une admirable anthologie intitulée « Une enfance algérienne » (Gallimard), et Malika Mokeddem, pour son touchant roman « L’Interdite » (Grasset). L.M.

     

     

     

  • Café et écriture

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    C'est un papier qui paraît dans un n° spécial de L'EXPRESS et de L'EXPANSION, consacré à la petite graine.

    LE CARBURANT DES CRÉATEURS

    Par Léon Mazzella

    Les écrivains en font parfois une consommation effrénée, car le café, « torréfiant intérieur », selon Balzac, maintient éveillé et stimule la création. 

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    Balzac est un cas. L’auteur de La Comédie humaine, gigantesque « peinture de la société » en plus de 90 ouvrages, qualifie le café de « torréfiant intérieur », dans son « Traité des excitants modernes ». Il note que le café ouvre l’esprit, en donne à ceux qui en manquent mais rend encore plus ennuyeux ceux qui nous ennuient… Citant le prince des gastronomes, Brillat-Savarin, l’auteur du « Père Goriot » confirme que « le café met en mouvement le sang, en fait jaillir les esprits moteurs ; excitation qui précipite la digestion, chasse le sommeil, et permet d’entretenir pendant un peu plus longtemps les facultés cérébrales ». Balzac lui-même sait gré au café de lui permettre d’écrire, de produire tant et plus. L’auteur pantagruélique alterne les ripailles les plus rabelaisiennes avec l’abstinence la plus monacale, mais sacrifie quotidiennement à l’absorption de son carburant préféré. Il possède plusieurs cafetières fétiches, dont une en argent, dite à la Chaptal. Mais c’est celle en porcelaine de Limoges, avec ses initiales sur la couronne qui lui permet de maintenir son breuvage au chaud, et que l’on peut encore voir à la Maison de Balzac, musée sis rue Raynouard à Paris, qui ne quitte jamais sa table de travail. Il prépare lui-même sa drogue douce. Il s’agit d’un mélange de  Moka auquel il ajoute du café de la Martinique et du café Bourbon. Le romancier prolifique les achète de préférence chez l’épicier Bonnemains, place Saint-Michel. Il y sacrifie une part non négligeable de ses dépenses, au moins dix fois plus que pour l’achat du pain. Son petit secret réside dans l’ajout d’une pincée de sel afin de développer les arômes d’un élixir qu’il prend soin de faire couler très lentement. Comme il ne fume pas – il déteste même le tabac-, ne  boit guère (sauf lors de gueuletons), il abuse de son unique péché mignon, mais comme le café a partie liée avec l’encre, l’abus l’excuse. Les deux liquides noirs sont les mamelles de sa création. 

    « Dès lors, tout s’agite »

    « Le café tombe dans votre estomac (…) Dès lors, tout s’agite : les idées s’ébranlent comme les bataillons de la Grande Armée sur le terrain d’une bataille », écrit-il, « et la bataille a lieu. Les souvenirs arrivent au pas de charge, enseignes déployées : la cavalerie légère des comparaisons se développe par un magnifique galop ; l’artillerie de la logique arrive avec son train et ses gargousses ; les traits d’esprit arrivent en tirailleurs ; les figures se dressent, le papier se couvre d’encre, car la veille commence et finit par des torrents d’eau noire, comme la bataille par sa poudre noire. » Et c’est ainsi, grâce à quantité de tasses dégustées, à des litres de café avalées jour et nuit – Balzac écrit beaucoup du crépuscule à l’aube-, que ses romans avancent, à l’instar d’une armée en ordre de marche et qui ne peut, dès lors, connaître la déroute. « L’état où vous met le café pris à jeun », écrit-il encore, «  dans les conditions magistrales, produit une sorte de vivacité nerveuse qui ressemble à celle de la colère. Le verbe s’élève, les gestes expriment une impatience maladive ; on veut que tout aille comme trottent les idées ; on est braque, rageur pour des riens ; on arrive à ce variable caractère du poète tant accusé par les épiciers ; on prête à autrui la lucidité dont on jouit. » Balzac déteste l’idée même d’ajouter du lait dans le café, comme d’autres n’imaginent même pas l’adjonction d’une goutte d’eau dans leur vin – au propre comme au figuré. Il a même des mots peu caressants à l’adresse des amateurs : « Offrir du café au lait, ce n’est pas une faute, c’est un ridicule. Il n’y a plus que les portières qui prennent cette mixture populacière, laquelle attriste la fibre, charge l’estomac de saburres pernicieuses et débilite le système nerveux ». Balzac est un puriste. Il lui faut du solide, du pur, du dur, du coup de fouet. Il pense que « le fluide nerveux est le conducteur de l’électricité que dégage cette substance {le café} », que son pouvoir n’est ni constant ni absolu. Conforté en cela par Rossini : « Le café, m’a-t-il dit, est une affaire de quinze ou vingt jours ; le temps fort heureusement de faire un opéra. Le fait est vrai. Mais le temps pendant lequel on jouit des bienfaits du café peut s’étendre… »  L’œuvre de Balzac le prouve avec superbe, laquelle a donné au roman français ses volumes parmi les plus riches. Comme par hasard ou par un effet de balancier (on aime les chiens ou les chats, rarement les deux à la fois), Balzac n’aime pas du tout le thé. La boisson comme son univers, qu’il ne manque pas de vilipender : « Il donnerait la morale anglaise, les miss au teint blafard, les hypocrisies et les médisances anglaises ; ce qui est certain, c’est qu’il ne gâte pas moins la femme au moral qu’au physique. Là où les femmes boivent du thé, l’amour est vicié dans son principe ; elles sont pâles, maladives, parleuses, ennuyeuses, prêcheuses. » Des propos forts de café… Un café que notre puriste prolifique et expert en « Etudes de mœurs » ne répugnait pas à consommer, à l’occasion, additionné d’un soupçon de crème. Dans « La Femme auteur », nous lisons ceci : « La tasse de café que je prends est exquise, la crème est de la crème envoyée de la ferme que mon oncle Hannequin possède à Bobigny, le café, c’est du vrai moka… ». Une entorse en forme de confession, assortie de précisions de taille : il ne s’agit pas de lait, et la provenance de la crème est un gage de qualité.

    Les premiers cafés littéraires

    Un autre grand buveur de café est Voltaire, qui passe des heures et des heures au Procope, rue de l’Ancienne-Comédie, dans le quartier de l’Odéon (et où se trouvait jadis la Comédie française).  Le Procope, « Café-Glacier depuis 1686 », fut créé par un Sicilien nommé Francesco Procopio Dei Coltelli, qui en fit un débiteur de café et de spiritueux. Pour l’auteur de « Candide », le café est une plante cultivée dans le sud et consommée dans le nord », ce qui n’ est plus vrai aujourd’hui. Voltaire boit du café dans les cafés, et lance sans le vouloir, avec ses amis Encyclopédistes, la mode des bars que l’on appelle dès lors cafés. Confondre ainsi le lieu et l’une des boissons qu’on y propose assure le succès du « petit noir ». Dès avant Sartre et Beauvoir, qui usèrent leur séant sur les banquettes du Flore et les chaises des Deux Magots voisin, boulevard Saint-Germain, les cafés deviennent littéraires au temps de Voltaire. Ce dernier n’était-il pas membre de la confrérie des buveurs de café ? Buveur impénitent – il en boit plusieurs dizaines chaque jour, mais légers ! -, il ne pense pas avec Fontenelle que c’est « un poison lent », mais au contraire un stimulant de l’esprit. Dans « Les Confessions », Rousseau témoigne de cette incroyable appétence de l’auteur de « Zadig » : Il avait la réputation de boire quarante tasses de café chaque jour pour l’aider à rester éveillé  pour penser, penser, penser à  la manière de lutter contre les tyrans et les imbéciles. » 
    Flaubert évoque le café dans « Madame Bovary » en des termes qui dénotent le soin particulier apporté à l’élaboration du breuvage : « Mm Homais réapparut, portant une de ces vacillantes machines que l’on chauffe avec de l’esprit-de-vin ; car Homais tenait à faire son café sur la table, l’ayant, d’ailleurs, torréfié lui-même, porphyrisé lui-même, mixtionné lui-même. » Brillat-Savarin souligne l’art de la torréfaction ainsi : « La décoction de café cru est une boisson insignifiante ; mais la carbonisation y développe un arôme, et y forme une huile qui caractérisent le café, tel que nous le prenons, et qui resteraient éternellement inconnus sans l’intervention de la chaleur. » 

    Boisson à connotation intellectuelle, puisqu’elle développe les capacités créatrices, le café se voit parfois opposer ses vertus à celles du thé. Proust boit quant à lui des quantités impressionnantes d’ « essence de café » – uniquement du Corcellet, acheté dans le XVIIe arrondissement de Paris, élaboré avec une précision maniaque et servi dans une cafetière en argent, cela pour tenir, et continuer de pouvoir écrire sa monumentale « Recherche du temps perdu ». Et aussi afin de calmer ses incessantes crises d’asthme. À Lisbonne, l’immense poète Fernando Pessoa passe des journées au café « A Brasileira », dans le quartier du Chiado, où il possède aujourd’hui sa statue en bronze, et c’est de là qu’il « contemple la vie en frémissant », tout en sirotant « uma bica », terme qui désigne un espresso.

    Pénétrer les cerveaux

    Cité dans l’anthologie « Le goût du café » (Mercure de France), Paul Morand déclare, non sans ironie : « Par le thé, l’Orient pénètre dans les salons bourgeois, par le café, il pénètre dans les cerveaux. » C’est dans « La Route des Indes » que l’écrivain diplomate retrace avec brio l’histoire de l’arrivée du café à la cour du Roi Soleil, puis sa conquête de l’Europe d’une boisson qui devint vite à la mode, à la cour comme dans la rue. Morand :  « Le moka brûlant fait son chemin dans l’estomac et dans les méninges de ces Nordiques lents à penser et les réveille ; les Irlandais cessent d’avoir le monopole de l’esprit ; des idées non suivies d’actes, mais qu’on aime pour leur jeu rapide et gratuit, dansent dans les têtes. » Morand se plaît à souligner l’apport spirituel du café, lequel semble secouer la vieille Europe comme une drogue douce et bienfaisante. « Stupéfiants et excitants sont les deux faces de la déesse », écrit-il encore, « les deux visages par où l’Orient sourit à l’Europe, ou grimace. Le café énerva le classicisme ; le romantisme découvrira bientôt l’autre noir abîme du désespoir humain : en 1797, Coleridge avale, à Malte, des boulettes d’opium. » 

    C’est dans son « Dictionnaire de cuisine » qu’Alexandre Dumas évoque les bienfaits du café et donne de nombreux conseils comme celui de « ne le moudre qu’au fur et à mesure des besoins, afin qu’il ne puisse perdre son arôme ».  Il prétend que « Voltaire et Delisle ont fait abus du café, qui, loin d’être un poison, comme on l’a dit d’abord, est un antidote pour tous les poisons stupéfiants ; il opère rapidement sur l’opium, sur la belladone, etc. Il faut alors le prendre très fort et une cuillerée à café toutes les cinq minutes ». Le père des « Trois Mousquetaires » donne même des recettes, comme celle du café à la crème frappé de glace, à partir d’une infusion de café Moka ou de café Bourbon : « Vous la mettez dans un bol en porcelaine, vous la sucrez convenablement, et vous y ajoutez une égale quantité de lait bouilli ou le tiers d’une crème onctueuse. Vous entourez ensuite le bol de glace pilée. »

    Enfin, Karen Blixen, dans son inoubliable « Ferme africaine », raconte son quotidien d’exploitante d’une plantation de café arabica située à près de 2000 mètres d’altitude, au Kenya, mais en revanche, elle n’abuse pas de sa consommation comme la plupart de ses frères et sœurs de plume. L.M.

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    Musiciens et peintres

    Les musiciens ne sont pas en reste. Jean-Sébastien Bach dédie au café une cantate profane, la « Cantate du café » BWV 211, pour flûte traversière, violons, timbales et voix (ténor, basse, soprano), tant il aimait ce breuvage. Il s’agit d’une sorte de mini opéra comique ayant l’addiction au café pour sujet, qui était un réel problème dans le Liepzig du XVIIIè siècle. Le dramaturge italien Carlo Goldoni consacre à sa boisson favorite une comédie de moeurs, « La Bottega del caffé ». Les artistes, compositeurs et peintres, ont eux aussi vite compris que la caféine chassait la somnolence et favorisait la création. Ludwig Van Beethoven en boit plusieurs tasses chaque matin, à raison de 60 grains scrupuleusement comptés un à un pour chaque tasse. Plus près de nous, et entre autres compositeurs et interprètes, Gustav Mahler et Glenn Gould sont célèbres pour en faire leur combustible mental fétiche.
    Quant aux peintres, s’ils en consomment depuis toujours, ils peignent à l’occasion la boisson et son service. Ainsi, de Cézanne et sa célèbre « Femme à la cafetière », ou de Manet et du non moins célèbre « Déjeuner dans l’atelier », ou encore le « Café arabe » d’Eugène Girardet, entre autres tableaux qui font du café un sujet qui n’est pas de nature morte. Mais vive. L.M.

     

  • Le Français a du whysky-appeal

    Papier paru hier dans L'EXPRESS de cette semaine :

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    Charles MacLean, maître du malt

    Par Léon Mazzella

     

    Le droit mène à tout… Même au whisky. Charles MacLean, pantalon écossais, moustache blonde soignée, regard vif, en est la preuve vivante : cet éphémère avocat, né en 1951 à Glasgow et vivant à Edimburg,  a troqué sa robe pour les habits de globe-trotter au service sa majesté le malt. Depuis, il parcourt le monde animer des Master Class pour le compte de diverses marques de whisky. Une passion née dans l’adolescence. A 16 ans, Charles se lie d’amitié Charly Grant, le fils du propriétaire de la distillerie The Glenlivet. Par atavisme et en plein cœur de la région du Speyside, Charly initie naturellement son pote Charles à la dégustation d’une eau de feu que ce dernier juge d’abord imbuvable, puis agréable, intéressante, complexe, intrigante. « Le whisky n’est pas franchement un easy drink », confie-t-il encore aujourd’hui. Désormais piqué au malt, il écrit des textes sur sa boisson favorite pour des agences de communication. Vite repéré pour la sincérité de ses articles sur l’élaboration, l’art de la dégustation et l’histoire du whisky, il travaille pour quantité de marques. En 1988, Charles rédige son premier livre, The Pocket guide of Scotch Whisky. Sa voie est tracée, on  s’arrache désormais ses commentaires. Il entame alors une carrière de conseiller, anime des ateliers de dégustation en Ecosse, puis au-delà du Mur d’Hadrien. Consécration, il participe à la réalisation du film La Part des anges, de Ken Loach. « Ce fut un sacré booster, avoue-t-il. Mais surtout une belle aventure. D’abord sollicité comme expert, Ken m’a demandé un matin d’interpréter mon propre rôle. ‘’Be yourself !’’ me lança-t-il. » 

    Voilà comment Charles MacLean est devenu l’un des connaisseurs les plus respectés de la planète maltée. Celui que The Times a sacré, en 2010, meilleur expert du whisky d’Ecosse, confesse avoir également une attirance pour les flacons japonais, indiens et taiwanais, en humant avec gourmandise un pur écossais Glen Turner Heritage, lors des premières master class* organisées dans l’Hexagone par la distillerie créée, en 1981, à Bathgate (Ecosse) mais en activité depuis 2004 seulement, et qu’il animait fin septembre à Paris. 

    L’occasion, pour notre expert, de rappeler combien il apprécie l’amateur français (rappelons que, avec 1,26 million d’hectolitre achetés en 2011, la France est le premier pays consommateur de whisky), car « votre culture du vin, des eaux de vie ambrées et de la gastronomie en général, vous donne un incomparable whisky-appeal. Chaque Français est un whisky-addict avec lequel j’ai plaisir à parler des grands whiskies comme des crus classés. » 

    Autour de son cou, une sorte de coquille saint-jacques se balance au gré de ses gestes amples. C’est son pedigree absolu : MacLean n’est pas peu fier d’être Master of the Quaich (en gaélique, quaich désigne le verre à whisky idéal). Ce club vénérable l’a non seulement adoubé comme Keeper (gardien du temple), en 1992, mais promu Master, il y a cinq ans, soit le titre suprême, partagé par une petite cinquantaine d’heureux élus de par le monde. Un sésame. 

     

    * Six whiskies furent proposés au cours de cette dégustation exceptionnelle : deux single malt des Highlands, Old Pulteney 12 ans d’âge (floral, aromatique, marin) et Clynelish 14 ans (suave, profond) ; un single Highlands malt, Glen Turner 12 ans (boisé, tourbé, miellé, réglissé) ; un whisky d’assemblage de malts de 15 ans d’âge, Glen Turner Heritage (boisé, vanillé, fruité, caramélisé) ; deux Islay single malt, Bowmore 12 ans (fumé, salin) et Kilchoman Machir Bay (fumé, boisé, marin). 

  • Le sport au front

     

    téléchargement.jpegPapier paru dans le hors-série Les POILUS, de L'EXPRESS, actuellement en kiosque (rédaction en chef : Philippe Bidalon, avec Léon Mazzella).

    La Grande Guerre de position et ses longues plages d’ennui a développé les sports collectifs, véritables moteurs pour aider à monter à l’assaut. Et l’immédiat après-guerre a vu se développer naturellement le sport féminin  et le handisport.

    Par Léon Mazzella

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    Ils jouaient au ballon pour tromper l’ennui. La guerre de position a favorisé la pratique du sport, car, contrairement à une idée reçue, si les combats furent tous d’une grande intensité meurtrière, ils furent rares et parfois brefs. Aussi, le poilu découvrit-il l’ennui dans les tranchées (lire par ailleurs dans ce numéro), immobile,  à attendre tout le jour l’ennemi comme Piero Aldobrandi dans Le Rivage des Syrtes, roman de Julien Gracq ou Giovanni Drogo dans Le désert des Tartares, de Dino Buzzati. Ainsi le sport distrayait-il les troupes tout en les galvanisant et en leur infusant cette alchimie que seul l’esprit du rugby engendre, par exemple, en faisant « jouer le collectif » avec courage et détermination.  Signalons que nombre de rugbymen de légende, notamment anglo-saxons, mais également de l’Aviron Bayonnais ou du Stade Toulousain, périrent au front. L’un d’entre eux, selon Michel Merckel, nommé Manguez, frappé d’une balle de mitrailleuse,  déclara avant de mourir : « Allez dire que je n’ai pas encore reculé devant la mêlée ! », relate Michel Merckel, auteur d’un livre-clé sur le sujet (1).  

    Les jambes coupées

    Encouragé par les officiers, la pratique du sport, notamment des sports collectifs :le rugby le fut sous l’impulsion des soldats anglais, les Tommies, le football (orthographié foot-ball à l’époque) connaîtra un essor formidable qui ne se démentira plus jamais, et l’athlétisme  se développent sur tous les fronts dès 1915, lorsque les « pantalons rouges » deviennent les « poilus ». Car il fallait de sacrées doses de courage pour monter à l’assaut, baïonnette au clair. À ce propos, soulignons un paradoxe : si d’aucuns chauffaient leurs muscles en faisant du sport afin d’entretenir  -par surcroît-, une forme physique indispensable pour combattre au corps à corps, il semble qu’avec l’usure du temps et la déprime qui s’installa au cœur des tranchées, les Poilus préférèrent  au foot, boire le litre de pinard quotidien et la dose de gnole qui leur étaient distribuées, afin de se donner de la « gniaque », voire une forme d’inconscience provoquée par l’ivresse ; et il y a fort à parier que le saut hors de la tranchée s’effectua souvent les « jambes coupées » par l’alcool…

    Une presse des tranchées  dynamique

    La presse des tranchées, d’un étonnant dynamisme, entretient  cependant le moral des troupes qui choisissent de pratiquer certains sports pour tuer le temps. Au début, ils jouent en effet au ballon, puis ils s’organisent, forment des équipes, disputent des matches et même des compétitions ! Les journaux de soldats comme « Face aux Boches », « On les aura », « Boum voilà », « La Guerre Joviale », « Le Poilu », « La Fourragère », « La Revue Poilusienne »,  « Le Cri du Poilu », « L’Echo de la Mitraille et du Canon », « La voix du 75 » (en référence au canon emblématique de l’armée française), « L’Echo des Guitounes », « Le Périscope », « Le Canard du Boyau », « La Musette », « Brise d’entonnoirs », en relatant ces rencontres sportives improvisées, prennent leur part dans l’entretien du moral de troupes désoeuvrées. Les grands magazines : « Sporting »,  « Le Miroir des Sports », « La Vie au grand air », leur emboîtent le pas. « L’Illustration »  du 26 août 1916, avec sa voix patriotique habituelle,  énonce que la boxe développe l’amour-propre et le désir de triompher. La course, le football augmentent l’agilité des membres qui s’étaient un peu figés dans la boue des tranchées…  Propagandiste, le discours évoque avec fierté les Jeux interalliés  qui se mettent également  en place. Les Poilus pratiquent l’escrime ou la boxe et nombre d’entre eux sont d’ailleurs de grands sportifs : Roland-Garros, Jean Bouin, Gaston Alibert,  Bernard Bessan, René Fenouillère, Gustave Lapize… Figurent parmi les 424 champions nationaux et internationaux qui mourront au combat, et dont Michel Merckel dresse la liste précise. La fin du conflit connaîtra l’esssordu sport féminin et du handisport.

    Des sportives émancipées

    L’émancipation du sport féminin se fera à la malheureuse faveur du nombre de victimes au front. Ajoutons à cela une politique nataliste, comme le précise Michel Merckel, qui, « pour compenser les pertes en vies humaines, encourage les femmes à pratiquer des sports afin de concevoir de beaux enfants ! » Le premier match de football féminin disputé en France se tient dès le 30 septembre 1917, le premier cross-country féminin  en avril 1918 dans le bois de Chaville et le 10 août 1922, sont organisés les premiers Jeux olympiques  féminins  au stade Pershing du Bois de Boulogne-Billancourt.  Entre temps, la Fédération sportive féminine internationale  a ouvert ses portes à l’Autriche et à l’Allemagne  en 1921, faisant montre d’un remarquable esprit d’équité et de réconciliation. 

    La naissance du handisport

    C’est également à la « faveur » de la Grande Guerre que les compétitions sportives d’envergure et réservées aux handicapés verront le jour. L’Ecole (normale militaire de gymnastique) de Joinville est en cela exemplaire qui, dès sa réouverture le 7 mai 1916, n’aura de cesse de vouloir remettre sur pieds nombre de soldats éclopés qui lui étaient présentés en masse. Mais sans attendre des organisations officielles dédiées, le nombre de gueules cassées et de blessés de guerre qui se sont illustrés est impressionnant,  rappelle Michel Merckel, « de Jospeh Guillemot, sans poumon droit à cause des gaz mais qui sera champion olympique du 5000 m en 1920, au boxeur Eugène Criqui, qui eût la mâchoire fracassée, se fit poser une plaque d’acier, remonta sur le ring et devint champion du monde poids plumes. Ou encore Jean Vermeulen, agonisant et criblé d’obus, qui faillit perdre ses deux jambes et qui remporta le marathon aux Jeux interalliés de 1919. Sans évoquer ce match de rugby France-Ecosse du 1er janvier 1920 qui comptait cinq borgnes (énucléés au combat) sur trente joueurs ! ». Comme quoi, conclut Michel Merckel, « la Grande Guerre fut aussi un moyen de diffusion du sport dans les tranchées et elle servit même de tremplin au sport moderne français. »

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    (1) « 14-18, le sport sort des tranchées » (éd. Le Pas d’oiseau, 2013).

     

    CHIQUITO DE CAMBO : Le grenadier au chistera

    Prononcez son nom n’importe où au Pays basque et vous verrez les regards s’allumer. Dans la mémoire collective d’un pays attaché à ses traditions et à ses champions, Chiquito de Cambo, de son vrai nom Joseph Apestéguy est une légende. Il naît le 20 mai 1881 à Cambo-les-Bains. Athlétique : 1,95 m pour 90 kg, il ne peut éviter, puisqu’il naît en terre basque, pêle-mêle : le sens de la fête, le rugby, la chasse à la palombe et la pelote. Cette balle en peau dure qu’on lance à main nue et à temps perdu sur un mur de fortune (ajoutons le surf, aujourd’hui à cette panoplie). C’est surtout la pelote qui captive très tôt le jeune Joseph. Le gamin costaud se révèle être un joueur surdoué qui brûle les étapes. Il devient champion du monde de pelote basque à l’âge de 18 ans en défiant et en battant largement le champion en titre Arrué, de Bidart, au cours d’une partie restée célèbre disputée le 23 septembre 1899. Il demeurera champion du monde de pelote basque sans discontinuer de1899 à 1914 et de 1919 à 1923. Un record absolu. Dans son livre sur la guerre de 14-18 comprise comme un formidable tremplin à l’essor du sport français : « 14-18, le sport sort des tranchées  (éd. Le Pas d’oiseau), Michel Merckel rappelle un épisode insolite de la carrière de Chiquito de Cambo lorsque celui-ci fut mobilisé. Sur le front, le champion avait emporté avec lui un grand gant de chistera et il aurait eu l’ingénieuse idée de s’en servir pour lancer les grenades à une distance record depuis les tranchées françaises sur les lignes allemandes, tandis que le lancer de grenade, effectué par le poilu moyen, demeurait alors un geste approximatif et parfois malencontreux, voire foireux. « La légende raconte que les Allemands ne comprirent jamais quel surhomme pouvait lancer les grenades aussi loin », précise Michel Merckel. Mieux : images.jpeg« Chiquito a réglé à sa façon l’un des points faibles de la grenade. En effet, sa distance  de destruction est parfois trop près du lanceur. Pour lancer loin, la grenade à fusil fut inventée et cet engin va se perfectionner pendant toute la durée du conflit », ajoute l’auteur. Aucun document ne prouve cependant l’exploit réitéré du champion, mais la légende, tenace, en fait un grenadier hors pair qui fut d’ailleurs cité à plusieurs reprises à l’ordre de l’armée. Eric Mailharrancin, qui rend hommage dans son roman « Les Oubliés du Chemin des Dames » (Elkar) aux soldats basques, notamment ceux du 49ème régiment d’infanterie de Bayonne,  s’interroge encore. Il a relancé le débat en mettant la main sur des photos montrant Chiquito en soldat avec son fameux gant de chistera à la main. Hypothèses…  Mais qu’importe. Chiquito de Cambo finira paisiblement sa vie rue Augustin-Chaho à St-Jean-de-Luz. Il meurt le 30 mai 1950 à Guéthary et chaque année, en septembre, Cambo, où il repose, célèbre les Journées Chiquito. Un trinquet parisien, situé 8, quai St-Exupéry, porte même le nom du grenadier au chistera.  L.M.

    Photo ci-dessus : LA GRANDE GUERRE, l'indispensable mook de L'EXPRESS paru précédemment.

  • Une guerre sans nom

    gde0011_001.jpgPapier publié dans le hors-série Pieds-Noirs de L'EXPRESS paru il y a quelques jours et en vente encore plusieurs semaines (rédaction en chef : Philippe Bidalon et Léon Mazzella) => Tous au kiosque!

    7 ans et 8 mois d’une guerre qui prôna la pacification, l’autodétermination, puis l’abandon d’un pays, des Pieds-Noirs et des harkis.

    Par Léon Mazzella

     

     

    Le feu couve depuis les impitoyables massacres de Sétif du 8 mai 1945 : 104 européens, puis 1500 arabes en représailles (lire p15) sonnent le glas de la paix. L’armée de libération nationale (ALN), bras armé du Front de libération national (FLN) apparaît le 1er novembre 1954. Cette Toussaint-là, une série d’attentats sont perpétrés en divers points du pays. Les 7 premières victimes, dont  l’instituteur Guy Monnerot et sa femme, ainsi que le caïd Hadj Sadok, assassinés dans un bus sur une route des Aurès, signent le véritable début de la guerre. L’armée française riposte aussitôt. Des renforts arrivent. Le gouvernement d’Edgar Faure remplace celui de Mendès-France. Le mot d’ordre est « l’intégration », après le rétablissement de l’ordre. Mais l’armée capture beaucoup de suspects, faute de trouver des coupables… La « question »  de la torture est gravement posée. Le FLN compte à peine 500 hommes. L’embrasement va vite grossir ses rangs. L’intimidation est sa règle : « tous ceux qui ne sont pas avec nous sont contre nous ». « Sujets » français, les Arabes, qui ont si souvent souhaité devenir citoyens comme les juifs et les Européens, passent du côté de la lutte, coûte que coûte, pour leur indépendance.


    Guérilla urbaine

    Jacques Soustelle, gouverneur général d’Algérie, sait que la haine naît de l’injustice et de l’humiliation. L’inexorable engrenage génère des excès des deux camps. Le 20 août 1955, 70 Pieds-Noirs sont massacrés à Philippeville (région de Constantine). S’ensuit de nouvelles représailles massives, menées par un Soustelle humaniste, mais contraint. Le peuple algérien est désormais acquis à la cause du FLN. Le fossé entre deux communautés qui auraient pu envisager une alliance d’un troisième type, selon les vœux réitérés d’Albert Camus (lire p.46), devient abyssal. Le gouvernement de Guy Mollet, peu apprécié des Pieds-Noirs, échoue à imposer le général Catroux pour ministre-résident en Algérie. Les « ultras le rejettent. Il est remplacé par Robert Lacoste. L’ALN en a fini avec les embuscades sauvages. Mieux organisée, elle attaque frontalement l’armée française. La guérilla urbaine devient intense, les attentats se multiplient aux terrasses des cafés, le terrorisme frappe aveuglément. La peur est dans tous les ventres. Elle appelle la vengeance. Ne cède pas au désespoir. Avec une représentation contestée à l’ONU, notamment par Antoine Pinay qui crie à l’ingérence, le FLN connaît une aura internationale. La crise de Suez, le soutien de Nasser au FLN, provoquent l’arrivée du général Massu et de ses paras sur le sol algérien. « La Bataille d’Alger » de 1957 est dure et très meurtrière, mais les « paras » de Massu et de Bigeard la gagnent. Ils neutralisent le FLN dans ses bastions névralgiques. Etape suivante : « nettoyer les douars et le djebel ». L’armée « gouverne ». Stratège, elle appelle à ses côtés des musulmans afin de constituer des « unités supplétives » : ce sont les harkis, dont le sort après la guerre sera monstrueux. Injustement abandonnés par la France, ils seront torturés et massacrés par dizaines de milliers par un FLN vainqueur. La « bataille des frontières » (avec la Tunisie) fait rage. Le gouvernement de Félix Gaillard est renversé. Celui de Pierre Pflimlin, symbole de l’abandon de l’Algérie, est redouté des « pro » Algérie française (l’armée et les Pieds-Noirs), qui créent un comité de « salut public » avec à sa tête le député Pierre Lagaillarde (futur cofondateur de l’OAS avec Jean-Jacques Susini). Le 13 mai 1958 voit l’attaque le Gouvernement général à Alger, symbole du pouvoir parisien, qui frémit. 

     

    De Gaulle aux affaires

    Les gaullistes fomentent le retour du général. En arbitre, le général Salan déclare « prendre provisoirement les destinées de l’Algérie française »… et achève son discours par un timide mais retentissant « Vive de Gaulle ! », qui signe le retour du grand Charles aux affaires, comme président du Conseil dès le 1er juin. Ils se rend immédiatement à Alger. Un rêve de fraternisation entre « tous les Français à part entière » bat de l’aile, et survit avec peine, « de Dunkerque à Tamanrasset », dans les discours vibrants du général. Le fameux « Je vous ai compris » (prononcé à Alger) deviendra vite un je vous ai trahis dans la conscience pied-noire. La constitution (sur mesure) de la Ve république est approuvée le 4 octobre. 

     

    La stratégie de l’abandon

    Le FLN, en exil à Tunis, créé le Gouvernement provisoire de la république algérienne (GPRA). Ferhat Abbas, son chef, décide de porter la guerre également sur le sol français. À Paris, le « réseau Jeanson », les « porteurs de valises » (augurant « le manifeste des 121 ») aident le FLN. De Gaulle en appelle à « la paix des braves » afin de désarmer les maquisards hésitants de l’ALN. Peine perdue. Paul Delouvrier remplace Salan au poste de délégué général du gouvernement. Le général Challe est commandant en chef. Mission : écraser l’ALN. Les paras continuent de faire « le sale boulot », notamment en Kabylie et dans les Aurès. Lorsque de Gaulle propose un référendum sur l’autodétermination le 16 septembre 1959, le peuple pied-noir s’insurge avec force et dresse à nouveau des barricades. Pierre Lagaillarde et Jo Ortiz résistent. De sauveur, de Gaulle devient l’homme à abattre. En face, Houari Boumédienne tient son armée. Les Pieds-Noirs se découvrent de nouveaux ennemis : l’armée, les gardes-mobiles et les CRS. Le 22 avril 1961, « un quarteron de généraux en retraite » (Zeller, Challe, Jouhaud et Salan) font un putsch qui sera un flop au bout de 4 jours. Le « pronunciamento militaire » est peu suivi par les gradés. Même Hélie de Saint-Marc se rend : il ne veut pas de la guerre. L’état d’urgence est décrété. Des grèves générales monstrueuses sont très suivies. L’OAS est créée (lire page 50). Salan la dirige. Des plasticages à répétition ont lieu jusqu’à Orly. La terreur répond à celle qui continue d’être semée par le FLN. Avec les mêmes armes honteuses. Discours y compris : « Tout ce qui n’est pas Algérie française est ennemi ». La manifestation du FLN à Paris, le 17 octobre 1961, tourne au massacre : la police tue plus de 50 personnes. Les accords d’Evian du 18 mars 1962 sur « l’avenir d’une Algérie souveraine et indépendante » sont signés. Krim Belkacem, l’homme du 1er novembre 1954, a le sourire. De Gaulle renonce au pétrole du Sahara et aux essais nucléaires. Avec la fin des combats, le cessez-le-feu est déclaré sur tout le territoire. Il n’est pas respecté. L’OAS poursuit sa politique désespérée et aveugle de la terre brûlée. Appelle les civils à la révolte. Joue son va-tout. Le 26 mars 1962, l’armée française tire sur la foule pied-noire, rue d’Isly à Alger (lire p.51). Un accord est signé entre le FLN et l’OAS le 17 juin. Baroud « d’horreur » : l’OAS incendie le port d’Oran et disparaît. Les Pieds-Noirs continuent de fuir massivement « leur » pays. Le 1er juillet, l’indépendance est proclamée.

     

     

  • ATTENTION, ÉVÉNEMENT

    terre_du_couchant.jpgGRACQ INÉDIT

    J'y reviendrai forcément très vite, ici même :

     

     

     

     

     

     

     

    http://www.jose-corti.fr/titresfrancais/Terres_du_couchant.html

    Extrait, pour redire brièvement l'intemporalité, la permanence, la perfection du style, l'oubli de tout repère, excepté celui du méridien de Greenwich littéraire que l'auteur figure ou dessine à lui seul, extrait donc, de l'événement littéraire 2014/2015 absolu, et propre à balayer tout le reste comme un amical tsunami - d'un revers distrait de la manche.

     

    « En ces jours-là, le monde nous faisait cortège, chaud comme une bête, touffu comme un bois noir, plein de peurs et de merveilles – nous étions conduits – de grands signes se levaient pour nous sur la route, comme à celui qui s’est mis en chemin derrière une étoile – et tout autour de nous était calme, majesté, silence – un monde tendu à nous comme sur une paume, tout rafraîchi de palmes sauvages, fouetté de grands vents qui brassaient à pleins bras son écume verte, incliné, tout entier comme une voile qui prend l’alizé vers sa destination cachée, dans un roulis de long-courrier, un balancement d’équinoxe. » 

  • Une identité en péril

    Papier paru dans le hors-série Pieds-Noirs, histoire d'une déchirure, de L'EXPRESS. (Rédaction en chef : Philippe Bidalon et Léon Mazzella). En vente en kiosque pendant trois mois => Courez-y! 

    gde0011_001.jpgUn travail de mémoire et d’entretien de celle-ci s’opère depuis cinquante ans, par le biais notamment d’associations et de revues. Capital, cette quête des origines qui anime certains « descendants » de pieds-noirs, est ravivée par la disparition annoncée d’une communauté –au sens strict -, à l’horizon 2062, centenaire du grand départ. Par Léon Mazzella

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    L’acteur Daniel Auteuil naquit « par hasard » à Alger en 1950, lorsque ses parents, chanteurs, y résidaient provisoirement. De là à le considérer comme pied-noir, il n’y a qu’un pas audacieux que la « diaspora » aime bien franchir afin de grossir artificiellement ses rangs, histoire de s’enorgueillir de compter des stars, des people, des gens biens, des pieds-noirs recommandables. Analysons ce réflexe. Il exagère chouia (le pied-noir exagère tout, de toute façon). Exprime une sorte de revanche sociale, un déficit à combler, une conduite à racheter, au nom d’une culpabilité induite, d’une honte bue mais jamais éliminée, d’un complexe d’être, aux yeux des « Français de France », ces (« sales ») pieds-noirs, un million d’hommes et de femmes qui furent parfois maltraités dans un hexagone qui les accueillit globalement à contrecoeur. Dire qu’il s’agit d’un juste retour des choses pour une communauté ayant maintenu la population algérienne sous le boisseau serait par ailleurs aussi hâtif qu’hasardeux.

    INTRANQUILLES LOCATAIRES

    Ainsi, les pieds-noirs se sont-ils toujours faits tout petits, afin de se faire accepter, de se faire « aimer » par l’autre. La peur d’être à nouveau rejetés ailleurs, exilés une nouvelle fois, et repoussés au quotidien, appartient à leur inconscient. Cette crainte sociologique a été en effet largement partagée, dès leur arrivée sur le sol métropolitain en 1962. Rappelons que leur histoire est celle d’un peuple bigarré qui investit un sol qui ne sera jamais vraiment le sien, une terre qu’ils s’approprient certes, mais dont ils savent qu’ils sont les locataires seulement, et que leur bail a une durée déterminée, dont la date n’est pas fixée. Les pieds-noirs ont par conséquent toujours vécu dans une sorte de qui vive, comme les Napolitains qui gardent constamment au fond de leur conscience la possibilité d’une nouvelle éruption du Vésuve. Carpe diem (et memento mori). L’histoire les expulse en 1962. Ils arrivent ailleurs, en « terre mère » soi-disant, dans leur patrie, et celle-ci s’avère étrangement étrangère, voire hostile. Jean-Jacques Gonzales, auteur d’un tendre « Oran » (Séguier), ville qu’il quitte à l’âge de 11 ans, a des mots d’une grande justesse pour résumer l’absurdité de cette situation historique, dans le superbe ouvrage collectif « Algérie 1954-1962 », placé sous la direction de Benjamin Stora et Tramor Quemeneur (Les Arènes) : « Et puis il y a l’école, où l’on ne nous apprend rien de l’Algérie, mais tout de cette France que nous ne connaissons pas. Un truc dingue, schizophrénique. Ensuite la guerre, atroce, horrible. Mais je me disais qu’elle devait m’amener au paradis, dans cette France des livres, du savoir. Une fois arrivés, on nous a dit que nous n’étions pas chez nous. En fait, chez nous, maintenant, c’était nulle part. »

    LA « NOSTALGÉRIE »

    Néanmoins, les pieds-noirs ne se laissent pas abattre et font montre d’une belle énergie. Ils se refont la clémentine, tant bien que mal, en gardant les stigmates d’un passé qui ne passe pas, en ayant l’esprit du guetteur chevillé au corps. Sans cesse en alerte, ils ne connaissent jamais la paix, sinon dans le souvenir de là-bas. Ce syndrome génère vite une maladie qui semble incurable, communément appelée « nostalgérie ». Certains entretiennent le virus, car ce peut être un mal délicieux qui procure un bien étrange... L’entretien du souvenir d’un paradis perdu connaît un essor formidable avec la multiplication de rencontres, colloques, rassemblements parfois monstres, qui se tiennent dans des centres à forte densité de pieds-noirs comme Narbonne, Nice, Montpellier et Nîmes. Les  voyages organisés pour retourner « là-bas » connaissent eux aussi un beau succès, bien que tous ces événements aient aujourd’hui tendance à se raréfier, par manque croissant de participants... Ils sont par ailleurs l’occasion de retrouver les « pieds-verts », cette population très minoritaire (environ quelques dizaines de milliers après 1963, quelques centaines aujourd’hui) de pieds-noirs ayant choisi de rester en Algérie et auxquels Assiya Hamza consacre un livre de témoignages émouvant, « Mémoires d’enracinés » (Michalon). La littérature pied-noire, ou plutôt les livres sur le sujet, sont légion. Nombre d’entre eux sont autoédités et n’ont aucune prétention littéraire. Leur dessein est d’entretenir, encore et toujours, le souvenir. Maurice Calmein et Christiane Lacoste-Adrover, dans leur ouvrage « Dis, c’était comment l’Algérie française ? » (Atlantis) ont dénombré 800 associations de pieds-noirs et de Français musulmans « repliés » d’Algérie. Les premières ont eu pour but de veiller aux intérêts matériels des rapatriés, les fameuses « indemnisations » des biens laissés en Algérie, que l’Etat français mettra de nombreuses années à rembourser, au compte-goutte et de façon souvent symbolique, voire indigne, augmentant ainsi la rancœur de pieds-noirs régulièrement enclins à exprimer leur colère par le vote sanction pur –celui qui est dénué d’idéologie ou de conviction politique précise mais qui constitue l’expression solidaire d’un poids électoral certain. Ces associations se nomment ANFANOMA (Association nationale des Français d’Afrique du Nord), RANFRAN (Rassemblement national des Français d’Afrique du Nord), rivales, puis rassemblée sous le label FNR (Front national des rapatriés) créé en 1969 par le général Edmond Jouhaud. Puis ce sera le RECOURS en 1974 (Rassemblement et coordination unitaire des rapatriés et spoliés), toujours à l’appel de Jouhaud, et que présidera Jacques Roseau, ex-OAS assassiné en 1993 par… l’OAS (lire page 53).

    Les associations de défense des Français musulmans ne sont pas en reste, notamment celles qui prennent la défense des malheureux harkis (ils sont 60 000 à toucher le sol français en 1962), comme Collectif Justice. Ou encore la dynamique association ANEH (Association nationale des enfants de harkis). Mais la plupart des associations sont apolitiques et parlent davantage kémia, soleil et du bon temps « quand on était là-bas » lors de leurs assemblées générales. Ce sont des amicales. Très nombreuses, certaines d’entre elles éditent leur propre bulletin de liaison (lire encadré). En parallèle, il faut saluer l’initiative d’envergure d’un Joseph Perez, qui, avec son association CDHA (Centre de documentation historique sur l’Algérie, installé avec sa propre bibliothèque à Aix-en-Provence) effectue depuis quarante ans un travail mémoriel prodigieux, de collection de documents de toutes sortes. Ses fils Gilles et Cyrille Perez, sont notamment les auteurs d’un long documentaire sur les pieds-noirs qui fait date (lire page 58), preuve que certains membres de la génération des quadras-quinquas d’aujourd’hui s’intéresse activement au sujet. Prochaine étape, capitale pour le président du CDHA : achever et inaugurer (en 2015, à Aix) un site mémoriel, placé sous l’égide de la Fondation de France, le Conservatoire national de la mémoire des Français d’Afrique du Nord, qui devrait devenir le centre de documentation le plus riche sur le sujet.

    UNE QUÊTE IDENTITAIRE

    Paradoxalement, les pieds-noirs se font donc tout petits d’un côté, et d’un autre, leur façon d’être exubérante, « forte en gueule », témoigne d’une véritable affirmation identitaire. La culture pied-noire, à travers le cinéma, la chanson, le café-théâtre, l’oralité –un accent reconnaissable entre tous, a véhiculé et progressivement imposé leur présence solaire sur le sol français. Les rapatriés se sont fait leur place loin du soleil de là-bas, dont chacun affirme qu’« il ne brillait pas de la même façon qu’ici ». Et leur belle énergie a dopé plusieurs secteurs de l’économie et certaines régions, comme la filière viticole (Languedoc-Roussillon), la culture des agrumes (Corse), l’immobilier ici, le petit commerce là... Les pieds-noirs se sont révélés doués pour créer et piloter des PME, et leur efficacité dans les professions libérales (médecine, droit) n’a jamais été démentie. Certes, la France des Trente Glorieuses renouait avec la prospérité, mais elle n’avait nullement besoin d’un million de pieds-noirs. Ces derniers participèrent néanmoins d’une croissance qui dépassa 6%. La galerie de portraits, dans des domaines divers, qui suit ces pages le démontre de façon sélective mais éloquente.

    La génération des enfants et aujourd’hui des petits-enfants, voire des arrière petits-enfants des pieds-noirs arrivés sur le sol métropolitain en 1962 s’interroge. Notons d’ailleurs que les descendants de harkis sont animés de la même quête identitaire.  Dépassionnée, sereine, légitimement curieuse, elles sont avides de savoir. Certes, seule une minorité effectue des recherches ou bien accomplit la démarche du retour sur la terre de naissance de leur famille, si possible en compagnie d’un parent qui consent à effectuer un voyage de toute façon douloureux, « avant qu’il ne soit trop tard » (lire à ce propos le roman d’Anne Plantagenet, voir page 73). Plus étonnant encore, certains jeunes « descendants » de pieds-noirs, âgés d’une vingtaine d’années à peine, agitent le spectre de l’oubli, expriment une demande de « transmission », de réappropriation identitaire, que celle-ci passe par la cuisine ou par l’histoire. Ce ne sont pas des cas isolés. Ils manifestent ce désir ardent de connaître la terre de leurs proches ancêtres –d’où ils proviennent, donc leur propre histoire, et envisagent eux aussi, peut-être sans parent, de faire le voyage (initiatique) du retour, afin de vérifier que là-bas ce n’est pas nulle part et que la notion de racines peut revêtir bien des aspects. L.M.

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    Le rôle social des bulletins de liaison

    Le plus connu est « L’Echo de l’Oranie », qui atteignit des pics de vente de 50 000 exemplaires, uniquement sur abonnement, réalisée à Nice depuis 1963. Il traite d’histoire, d’archéologie, de cuisine, de littérature, de pataouète –et il publie surtout un carnet. Celui-ci est précieux, car il permet à la « diaspora pied-noir » de savoir qui meurt et qui naît ! Il est aussi précieux que ces mêmes pages dans n’importe quel quotidien régional. Ce rôle est singulièrement accru à une période où la génération active en 1962 disparaît peu à peu. Le rôle social de ces journaux, primordial, est aussi de permettre aussi aux uns et aux autres de se retrouver, de reprendre contact, au moins de savoir « ce qu’ils sont devenus »... Aujourd’hui, la course contre la montre a commencé : afin d’éviter que la mémoire sombre dans l’oubli en partant dans la tombe, ces journaux constituent une précieuse source d’informations sur la vie d’une communauté qui s’éteint. Au sens strict, les pieds-noirs sont devenus une « espèce » en voie de disparition. Si l’on considère en effet qu’un pied-noir est une personne née sur le sol algérien avant le mois de juillet 1962, et que l’espérance de vie raisonnable de l’être humain est d’environ un siècle, les derniers pieds-noirs disparaîtront dans cinquante ans et des poussières. Parmi les revues plus culturelles, outre « Mémoire vive », revue du CDHA (lire plus haut), « L’Algérianiste », revue du Cercle algérianiste se distingue en tenant le haut du pavé. Créé en 1973, cette revue-livre donne chaque trimestre son lot d’articles de fond sur l’Algérie, traitée sous tous ses aspects. Fort d’une quarantaine de cercles locaux répartis dans toute la France, le Cercle algérianiste, basé à Narbonne, organise nombre de colloques, conférences, rencontres théâtrales, cinématographiques, et décerne même un prix littéraire. Citons encore « Pieds-Noirs d’hier et d’aujourd’hui », et « Jeune Pied-Noir » qui demeurent des associations actives et qui ont édité des magazines éponymes. L.M.