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  • Fading

    Retrouver avec une avidité animale l'odeur de l'autre : aisselles, sexe, cou, souffle. Garder un vêtement -qui enferme son odeur-, en cas d'absence. Nous le faisons depuis notre premier amour. C'est chien. Mon chien avait aussi besoin d'un de mes vêtements lorsque je partais en voyage. Il m'aimait.

    L'imagination tient une si grande place dans l'amour que quelquefois nous sommes pressés de voir partir l'aimée : elle nous gêne pour penser à elle...

    Sa voix au téléphone. La voix, c'est ce que nous avons de moins charnel. C'est presque l'âme.

    Le "ping" (un pet de couteau sur du cristal) qui m'annonce un nouveau mail. Et toujours l'espoir de lire son nom sur l'écran.

    Cela s'appelle le fading, l'étrange et irrésistible chute, lourde, lente, au sein de la mélancolie amoureuse, cette vénéneuse...

  • Chez le libraire (extrait)



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    Dès que j’y suis, je soupire d’aise, gonfle le torse et me frotte mentalement les mains. Je me sens soudain d’humeur militaire : j’inspecte mes troupes. Je m’affaire immédiatement, replace, reconnais, inspecte, range, découvre, interroge, mets enfin au rapport un élu. Je les connais, je les aime, je leur rends souvent visite. À certaines périodes, c’est quotidien. Maladif. La librairie est ma pharmacie. Mon souffre-douleur, mon passe-temps, mon chasse-spleen, mon remède à l’ennui, à la ville, à l’errance urbaine, mon élixir de longue-vue sur moi-même et sur l’écriture, les pannes de sens, la page blanche, le silence oppressant de la table de plaisir (écrire n’est pas travailler)...

    (à suivre)

  • Sondage

     

    Pendant des années, la seule vue d’une trace blanche d’avion dans le ciel bleu de l’aube en montagne, au marais, suffisait à lui déchirer le cœur. Loin des hommes, près de la vie sauvage, il apprenait les saisons et le végétal. Chaque jour augmentait sa connaissance du monde animal. La psychologie des femmes lui était étrangère. Il savait ramper, grimper. Pas encore embrasser ni caresser. Il savait le mimétisme et l’approche. Mais il ignorait tout du tact et des préséances…

    Ceci fut vite griffonné dans mon carnet, posé sur le volant, un matin en rentrant de Lagny. Je me demande si ce n’est pas le début de mon prochain roman.

    Photo de DJ Simon

     

     

  • Cabane

    Il y a quelque chose d’amniotique, de régressif, d’obscur à être dans une cabane. Surtout une cabane de chasse aux canards. Ce sont des adultes qui les construisent, sur l’eau, et qui s’y rendent, seuls ou à plusieurs, les nuits d’hiver. Espace clos, chaud, entouré d’eau et de froid, poste d’observation d’où l’on voit sans être vu (et d’où l’on glisse les canons des fusils hors des meurtrières...). J’en connais qui en ont fait leur résidence secondaire, leur refuge absolu. Ils y vont aussi pour se retrouver, seuls, pour observer seulement la nature.
    J’aime passer une nuit (avec des jumelles et un bon casse-croûte), seul ou à deux, dans un tel endroit, encerclé de magie; pourvoyeur de sensations fortes : bruits étranges : un ragondin qui plonge, un héron qui s’envole, un cygne qui passe (j’adore entendre leur vol), des grenouilles qui tchatchent. Lueurs : phares lointains d’une voiture qui balaient les marécages, clignotement d’avion dans le ciel, étoiles filantes. Visions : on y devient nyctalope, comme un chat, en moins d’une heure. On voit clair dans le noir, et cela produit des hallucinations : un arbre sec devient un danseur dégingandé, telle motte de terre devient un loup. Parfums : la tisane froide des odeurs fortes d’un marais vaut celle des cèpes en sous-bois.
    Y veiller jusqu’à l’aube, c'est composer un bouquet de bonheurs qui ne fânent pas.