Ecrire la Grande Guerre aujourd'hui
Papier paru dans L'Express / La Grande Guerre, un mook : (gros) hors-série, en kiosque depuis le 21.
Jean Echenoz, Jérôme Garcin, Pierre Lemaitre : trois talents distincts pour la dire autrement.
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« 14 » est le roman le plus dense et le plus fulgurant sur la Grande Guerre, paru ces dernières années. Jean Echenoz, dont la concision et la maîtrise atteignent ici leur paroxysme, circonscrit 14-18 en124 pages tendues, sobres, et d’une justesse pénétrante. L’histoire ? Cinq hommes simples se retrouvent au front, une femme, Blanche, attend leur retour : Echenoz écrit à hauteur d’homme, avec une acuité redoutable, sans emphase ni pathos, le quotidien d’une guerre avec sa boue, ses rats, ses horreurs. Anthime, Padioleau, Bossis, Charles, Arcenel, plongés à leur corps défendant dans les « boyaux » des tranchées, survivent à l’absurde comme ils peuvent. Deux épisodes possèdent la perfection de l’œuf : l’économie de mots pour décrire un éclat d’obus qui arrache un bras à Anthime, et le récit millimétré d’un combat aérien sont des bijoux d’anthologie.
Jérôme Garcin signe un roman historique en prenant pour sujet l’écrivain Bordelais Jean de La Ville de Mirmont, tombé au Chemin des Dames, « sous un ciel sans dieu », le 28 novembre 1914 à l’âge de 28 ans. À travers le prisme romanesque de Garcin, Jean de La Ville, dont l’œuvre est aussi mince que capitale, devient un personnage incandescent et tendre, à la fois avide d’en découdre et pourvu d’une sensibilité d’enfant perdu. « Bleus horizons », à l’écriture impeccable, est le roman le plus touchant sur le sujet. On n’oublie pas Louis Gémon, le narrateur. Survivant à Jean, son ami « jumeau » disparu avec « de grands départs inassouvis » en lui, il connaîtra une inconsolable mélancolie plus douloureuse qu’une amputation – un thème cher à l’auteur d’« Olivier ».
Le plus poignant et le plus puissant des romans les plus récents sur la Grande Guerre est sans conteste l’ample et somptueux « Au revoir là-haut », de Pierre Lemaitre –Prix Goncourt 2013. Ce roman de la colère s’ouvre sur un épisode grave qui montre les amis Edouard et Albert, deux soldats envoyés au feu par l’inhumain lieutenant Pradelle : ces 60 pages ciselées comme une nouvelle, disent à elles seules la guerre sous un aspect tranchant. Lemaître, qui possède le talent de happer son lecteur, plante aussitôt les deux rescapés dans une France d’après guerre méconnue : celle qui n’eut d’égards que pour ses glorieux morts, et qui traita ses fantomatiques survivants comme des parias. L.M.
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« 14 », par Jean Echenoz (Minuit, 2012).
« Bleus horizons », par Jérôme Garcin (Gallimard, 2013).
« Au revoir là-haut », par Pierre Lemaître (Albin Michel, 2013).
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Les poilus lisaient beaucoup
Pour tromper l’ennui, les poilus lisent de nombreux journaux et livres : « La Vie parisienne », « Le Matin », leurs propres journaux des tranchées, mais aussi Zola, Kipling, Loti, Laclos, Jammes, Tolstoï, Féval, Verne –et bien sûr « Le Feu » de Barbusse ! Ils lisent des romans afin de moins penser à l’horreur, et la presse afin de ne pas être coupé de l’arrière. C’est ce que traduit une étude historique passionnante, signée Benjamin Gilles : « Lectures de poilus » (Autrement, 2013). L.M.
Commentaires
J'ai acheté "Le quatrième mur" de Sorj Chalandon, lu en deux jours, bouleversée par ce "roman", je ne sais pas si nous pouvons écrire le mot roman en parlant de ce livre tant il semble inspiré par la vie de Chalandon, j'ai surtout eu l'impression qu'il faisait vivre à son héros la vie qu'il aurait pu avoir si il n'avait pas dit "stop" à sa vie de grand reporter. Je vais certainement lire le vrai Goncourt, la vendeuse de la Fnac me disait que les deux livres étaient à égalité dans les ventes. Pour l'instant j'ai besoin d'évacuer "Le quatrième mur", je lis "Journal intime d'un arbre" de Didier Van Cauwelaert, un peu plus léger mais pas mal du tout, j'aime beaucoup cet auteur, ensuite ce sera " Une promesse" du même Chalandon, il attend..
De belles lectures (cependant, Van C., ce n'est pas ma cup of tea, mais bon, en guise de récréation, c'est sans doute rafraîchissant comme un soda).