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  • Automne bleu

    C'est un livre de photos signées Cyrille Vidal, avec des textes d'Alain Dubos et de ma pomme, publié aux éditions Passiflore (*). Commandez-le si vous aimez la poésie des matins de partage en forêt landaise, lorsque le beau souci qui anime les amoureux des oiseaux (les palombes, en l'occurrence), est juste de les jouer, de les convaincre de se poser -d'abord sur les arbres, puis de descendre au sol- en les séduisant à la voix (en roucoulant) et en jouant des appeaux (ah, les traîtres!), puis de les prendre au filet, et après de les relâcher, et de ne jamais leur tirer dessus, comme dans certaines palombières qui tiennent aussi du restaurant de campagne et du havre de l'amitié...

    (*) Cliquez sur le C

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  • Le tour du monde dans une tasse à café

    Papier paru dans un numéro spécial de L'EXPANSION et L'EXPRESS les 1er et 15 octobre : 

    IMG_2103.jpgQu’y a-t-il de commun entre un Américain sirotant son café très allongé dans un mug en carton au volant de sa voiture et un Italien dégustant son espresso stretto à la terrasse d’un café célèbre ? Pas grand chose, sinon que l’un comme l’autre obéissent à leur culture en dégustant chacun à sa manière sa boisson favorite. 

    Par Léon Mazzella

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    Les modes de consommation de la « cerise » torréfiée varient considérablement d‘une culture à l’autre. Ainsi, du souci extrême apporté à la qualité d’un café serré (stretto), généralement désigné par le mot espresso, dans le moindre bar d’Italie, car chaque habitant de la Botte a le souci de la larme de café concentré qui emplit chacune des tasses qu’il déguste. Le café qui est servi dans le saint de saints, au Gran Caffè Gambrinus, Via Chiaia à Naples, est une institution. Littéraire, il était assidûment fréquenté par Gabriele d’Annunzio, puis par Benedetto Croce, et quantité d’intellectuels, journalistes et hommes politiques de Campanie et au-delà. Le café espresso qui y est servi est tout simplement divin, comme l’apprécierait le producteur italien du film en train de se faire (scène culte), dans « Mulholland Drive », de David Lynch, et qui ne trouve jamais un café digne de ce nom à sa convenance, lorsqu’il se rend à des réunions de travail à Hollywood. On ne plaisante jamais avec la qualité d’un espresso, du Trentin-Haut-Adige à la Calabre.

    Cafés italiens mythiques

    Et au Gambrinus, même si l’on est pas gourmand, il convient d’accompagner son caffè (de toute façon stretto) d’une sfogliatella, cette pâtisserie napolitaine en forme de coquillage équivoque (lire page 28). Boire un café en Italie est souvent associé à un lieu public. Parmi les cafés célèbres où cette boisson possède toutes les qualités requises pour satisfaire les palais amateurs de nectar un rien amer avec ce je –ne-sais-quoi de délicat contenu dans la mousse qui recouvre un liquide puissant et rond à la fois, le mythique Florian, à Venise, est de ces hauts-lieux-là. À l’instar du Gilli à Florence, du Camparino à Milan, du Fiorio à Turin, du Mangini à Gênes, du Greco à Rome, ou encore du Tasso à Bergame, tous célèbrent et  subliment la simple tasse de « caffé » en accordant un soin constant à sa préparation ainsi qu’à son service, et transforment depuis quatre siècles le café en œuvre d’art gourmet. N’oublions pas que c’est à Venise que le café apparaît en Europe, en 1604. Henry James en parle dans « Venice », ainsi que dans « Les Papiers d’Aspern », non sans rappeler que la Sérénissime fut une plate-forme du commerce international du café dès le XVIIe siècle. Le Florian était alors une des nombreuses boutiques de café de la cité. Mais il acquiert sa réputation grâce, encore, aux nombreux écrivains et artistes de tous horizons qui y tiennent salon, s’y prélassent et sacrifient à l’addiction mesurée de la boisson venue d’Orient. C’est Floriano Francesconi qui ouvrit le Florian en 1720. Goethe, Byron, Stendhal, Constant, Sand, Mme de Staël, Musset, Gautier, Pound… De Casanova à Philippe Sollers, la littérature mondiale est passée, passe et passera encore par le Florian pour y déguster un café en terrasse ou dans l’un de ses salons alcôves.

    Chez lui, l’Italien affectionne particulièrement l’élaboration de son nectar favori avec une cafetière moka express, à pression, dite « napolitaine », de type Bialetti – du nom de son inventeur (bien que ce soit un Français nommé Bernard Rahaud qui soit à l’origine du principe, en 1822). Cette petite machine en aluminium, appelée justement la macchinetta, ou bien la caffettiera, est devenue le symbole du café italien, concentré, puissant, servi très chaud, toujours fait à l’instant et jamais réchauffé. 

    La grolla valdôtaine

    Certes, il existe des particularismes, dans la Botte comme partout ailleurs. Ainsi du Val d’Aoste, dans le nord de l’Italie, où une coutume veut que l’on boive le café de manière communautaire, conviviale, dans la « grolla » (l’équivalent de la grolle savoyarde), qui est une sorte de « coupe de l’amitié » en terre cuite, percée de plusieurs trous (on parle de grolla à quatre, six, huit, voire dix becs) afin de permettre à plusieurs convives de boire, en partage, au même récipient. Le café qui y est introduit est généralement fort (cela va sans dire en Italie) et très sucré. On peut y ajouter de la grappa, l’alcool blanc italien par excellence, ainsi que des écorces d’agrumes (oranges, citrons) : cela devient le café « à la valdôtaine » (du Val d’Aoste), et ce rituel, soulignent les observateurs, n’est pas sans rappeler celui du Saint-Graal. 

    L’Italie a son propre café au lait (chauffé à la vapeur, celui-ci devient mousseux) : le cappuccino, que l’on saupoudre de chocolat amer. Il ne faut pas confondre le cappuccino avec le café con nata (à la crème), ou avec le macchiato (tacheté), qui est un espresso à la mousse de lait chaud fouetté. Additionné de chantilly, le café devient viennois.

    En Vénétie, le café est parfois servi additionné d’une goutte d’amaretto (liqueur d’amande). Cette façon de l’enrichir –les puristes disent de le dénaturer - , se retrouve en Espagne, où il est d’usage d’ajouter une goutte d’anisette dans son café. Cela s’appelle le « carajillo » (prononcez la « jota »). C’est l’équivalent, en quelque sorte, de notre café-calva, appelé aussi « café normal » dans certains bars de Normandie ayant érigé la défense de leur alcool régional, le Calvados, en militantisme provocateur…

    Mugs pour light allongés 

    L’Américain ordinaire (Hemingway, par exemple, buvait surtout des litres de Bloody Mary à Venise), préfère le café allongé, extrêmement léger et servi dans des mugs en plastique ou bien cartonnés, refermés afin de garder la chaleur de la boisson, aux stretto et autres espressos italiens. Les Américains sont les premiers consommateurs de café au monde. Ils n’apprécient guère les cafés parfumés et encore moins les cafés fortement torréfiés. Ainsi font-ils leur choix judicieusement chez les deux géants de l’industrie du café que sont Starbucks et Peet’s, nés sur la côte ouest et qui ont conquis le monde. Starbucks propose aujourd’hui quantités de cafés pour tous les goûts, du « jus de chaussette » vilipendé par l’Italien au serré propre à écoeurer le Texan. L’Américain ordinaire apprécie par conséquent le café peu torréfié, faible en goût, auquel il ajoute volontiers un nuage de crème. Ce sont ses habitudes de consommation qui l’obligent à doser faiblement son café. En effet, lorsqu’on boit à toute heure du jour, au travail, en se déplaçant ou bien devant sa télévision, un soda ou un café, il vaut mieux que ce dernier soit allongé. Notons que certaines sectes, comme celle des Mormons, interdisent la consommation du café, au nom de principes religieux fondés sur la santé totale du corps, considéré  comme un don précieux de Dieu.

    Cardamome ou cannelle

    Au Yémen, berceau de la culture du café, il est d’usage d’accomplir un petit cérémonial appelé « gawha » dans la préparation du breuvage. Celui-ci est appelé « qisr » et il est réalisé à partir des cerises (avec leur péricarpe) séchées ou grillées. Celui qui prépare le café pour le groupe doit tout réaliser seul, de la torréfaction au service en passant par le pilage au mortier. Additionné d’eau, la boisson est chauffée sur des braises dans une sorte de pot long et étroit faisant office de cafetière, en cuivre, parfois en bronze, à long manche, appelé « ibrik » en Turquie, et volontiers additionné de sucre, mais surtout de quelques graines de cardamome écrasées entre deux doigts –une graine par tasse suffit -, ou bien d’un morceau de cannelle, ou encore d’un peu de gingembre. Les Yéménites consomment également le thé en y ajoutant des épices. Lorsqu’ils ne le dégustent pas dans un café, les hommes le préparent ainsi n’importe où, au bord d’un chemin, dans les champs, dans la rue. De même qu’ils sacrifient quotidiennement – en général après le déjeuner – au rite du qât, cette plante légèrement hallucinogène qui les transporte, les hommes accordent une importance particulière au rituel du café – qui est, rappelons-le, un psychotrope -; soulignant ainsi leur fierté quant à la paternité de la culture de la petite graine.

    « A la turque »

    Le café « à la sultane » ou « à la turque » correspond à une façon de préparer le café, originelle et brute : la coque de la graine est plongée dans l’eau seule ou bien avec la « bunn » (la baie) brûlée et réduite en poudre, nous dit Annie Perrier-Robert (« Le café », Solar), puis le mélange est porté à ébullition. L’eau se charge ainsi d’un marc qui n’est pas du goût de chacun. En effet, le café à la turque n’est pas filtré, et les Européens répugnent à boire et manger en même temps leur café. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle le café viennois connut un succès fulgurant, dès lors que son inventeur, le Polonais Franz Georg Kolschitzky, eut l’idée (dans les années 1683) de filtrer sa préparation « à la sultane » et d’y ajouter du sucre (puis de la crème fouettée), ce à partir du café récupéré dans des sacs abandonnés par les Turcs ayant assiégé la capitale autrichienne (lire page 6). Si l’on emploie que la coque, le café (turc) se nomme « qichariya » (qichra signifie écorce), et si l’on fait usage du grain avec la coque, on le nomme « bunniya ». L’amertume doit être de toute façon bien présente pour que le café soit digne d’être servi. Les Turcs ajoutent traditionnellement à leur café des clous de girofle, ou de la cardamome comme au Yémen, parfois de l’essence d’ambre ou de l’anis des Indes. Notons que l’Orient possède les secrets de l’hospitalité : le cérémonial du café revêt aujourd’hui encore des atours précieux et sérieux. L’art de recevoir et de contenter son hôte sont des valeurs extrêmes dans l’ensemble du Moyen-Orient. Le moment du café a même valeur de « grand examen », précise Anne Perrier-Robert, pour la jeune fille à marier. Ses « bonnes manières » sont alors jugées, ainsi que son savoir-faire : par exemple, le café turc (dûment sucré) doit impérativement être porté à ébullition à deux reprises avant d’être prêt, ceci après un repos de une à deux minutes. Au moment de le servir, il convient de déposer un peu de la mousse qui surnage, dans chaque tasse, puis de servir le café, et enfin de jeter quelques gouttes d’eau froide afin de précipiter le marc au fond des tasses. Après quoi, la jeune fille sera jugée bonne à marier. Ou non. L’affaire est on ne peut plus sérieuse, dans les contrées maternelles d’une boisson devenue universelle et qui est consommée par un être humain sur trois. Un proverbe éthiopien énonce clairement : « Buna dabo naw » : le café est notre pain.

    Cafés Viennois

    Sait-on que l’Allemagne est le deuxième importateur et le deuxième consommateur mondial de café ? D’aucuns jureraient que l’Italie, ou la France, tiennent cette position. Or, la consommation de café a explosé ces quarante dernières années outre-Rhin, les cafés à tendance acide s’y taillent la part du lion, loin devant les cafés solubles, qui connaissent un succès ailleurs, mais que l’Allemand juge dépourvus de qualités organoleptiques suffisantes. 

    L’Autriche est indissociable du café viennois, à la crème fouettée (voire à la chantilly) et des légendaires cafés de la capitale, que l’on dit littéraires car nombre d’écrivains les fréquentent assidûment depuis l’époque splendide de l’empire austro-hongrois. À l’aube du XXe siècle, Stefan Zweig est de ces auteurs cultes qui écrivent dans les cafés de la ville de Freud, son ami. Il se rend fréquemment aux cafés Beethoven, Reyl et Rathaus pour y déguster son breuvage favori, avec ou sans crème d’ailleurs. L’une de ses nombreuses nouvelles, figurant dans le recueil intitulé « La Peur », met en scène un café viennois, le café Gluck, et un érudit singulier, « Le Bouquiniste Mendel » Atmosphère : « À Vienne, un café vous attend à chaque coin de rue. (…) Dans mon oisiveté, je commençais déjà à m’abandonner à la molle passivité qui émane subrepticement de chaque véritable café viennois. (…) J’observais la demoiselle de la caisse, qui distribuait mécaniquement aux garçons le sucre et les cuillères pour chaque tasse de café… ».

    Irish coffee

    Si le Lapon a pour coutume d’additionner de la graisse de renne à son café et de ne jamais le sucrer, le Russe, lui, y ajoute volontiers une rondelle de citron comme nous le faisons dans l’eau pétillante.  Le Grec le boit frappé, et il a largement contribué au succès d’une boisson estivale, le café glacé (avec ou sans lait). L’Irlandais préfère adjoindre à son café du whiskey (avec un « e » pour le distinguer du Scotch whisky). C’est dans son roman irlandais, « Un Taxi mauve », que Michel Déon décrit la préparation minutieuse, par « une tenancière et avec un soin jaloux » de l’Irish coffee : « …Verres à pied chaud, sucre bien fondu dans le whiskey brûlant, café d’encre et faux col de crème glacée. Une jeune fille aux joues rosies, fraîche comme Mollie Malone, nous les apporta avec des grâces d’équilibriste, sans qu’une goutte de crème troublât le café. » Les Anglais, enfin, grands buveurs de thé devant l’éternel, négligent le café authentique, au point de lui préférer le café soluble, jugé indigne par tout amateur qui se respecte. Le chansonnier à l’humour caustique Pierre-Jean Vaillard dit : « Je sais maintenant pourquoi les Anglais préfèrent le thé : je viens de goûter leur café ». Ce qui n’empêche évidemment pas de nombreux aficionados de l’espresso et citoyens de Sa Majesté, de fréquenter les bars londoniens dédiés au culte de cette boisson incomparable ; lorsqu’elle est élaborée « à l’italienne ». L.M.

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    ORIENTALISMES

    Gérard de Nerval, dans son « Voyage en Orient », effectué en 1843, est saisi par l’atmosphère des cafés du Caire, où il découvre la danse du ventre et surtout la « liqueur ambrée » - ainsi nomme-t-il poétiquement le café -, dont il se délecte. « Le kahwedji {qui a la charge de préparer le café} sait bien qu’il faut sucrer la tasse, et la compagnie sourit de cette bizarre préparation. (…) Le foyer est toujours garni d’une multitude de petites cafetières de cuivre rouge, car il faut faire bouillir une cafetière pour chacune de ces fines-janes {pour « findjân » : petite tasse à café} grandes comme des coquetiers. »

    Le poète Constantin Cavafy hante les cafés populaires d’Alexandrie, sa ville, au début du XXe siècle, et il puise l’inspiration dans ces lieux mal famés, peuplés de petites gens qui boivent des cafés jusqu’au bout de la nuit. 

    C’est à Istanbul (où un café porte son nom : « Le Piyer Loti », dans le quartier d’Eyoub), que Pierre Loti goûte aux charmes lascifs de l’amour. « Aziyadé », son roman oriental, évoque ces cafés où des conteurs se livrent à des récits captivants, tandis que les clients fument le narguilé et consomment force cafés : « … S’arrêter à tous les cafedjis. (…) Boire le café de Turquie dans les microscopiques tasses bleues à pied de cuivre. (…) On m’apporte mon narguilé et ma tasse de café turc, qu’un enfant est chargé de renouveler tous les quarts d’heure… »  L.M.

     

  • Belles plumes d'Algérie

    Papier paru dans le hors-série de L'EXPRESS, actuellement en kiosque, consacré aux Pieds-Noirs (rédaction en chef : Philippe Bidalon et Léon Mazzella) :

     

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    La littérature pied-noire naît avec Camus, mais le maître a engendré et continue d'engendrer pléthore de bons auteurs pieds-noirs.

    Par Léon Mazzella

     

     

    La littérature pied-noire – de qualité- naît au milieu des années trente avec les premiers textes d’Albert Camus, comme « L’Envers et l’endroit », et « Noces », publiés par Edmond Charlot. Cet éditeur libraire algérois fit beaucoup pour cette littérature naissante, avec son confrère Baconnier (auquel on associe le nom de Charles Brouty, illustrateur célèbre), et qui publia notamment « Jeunes saisons » d’Emmanuel Roblès, ainsi que des textes algériens capitaux, comme « Jours de Kabylie », de Mouloud Feraoun. Les auteurs phares de cette pépinière furent regroupés autour de « L’Ecole d’Alger » avec Charlot pour éditeur, et comptait, aux côtés d’Albert Camus, Emmanuel Roblès, Jules Roy, le philosophe Jean Grenier, le romancier René-Jean Clot ou encore le poète Max-Pol Fouchet. Ainsi que Gabriel Audisio et Jean Sénac. 

    Donc, Camus. Avec  « Noces », « L’Eté », « La Peste », « L’Etranger », « Le Premier homme »… L’ombre tutélaire du Nobel 1957 plane sur la littérature pied-noire comme celle d'un mancenillier. Sa génération connut de grandes plumes. Il n'est qu'à citer Jules Roy (1907-2000), dont la précieuse saga « Les Chevaux du soleil » (Omnibus), ainsi qu’un livre devenu un classique, « La Guerre d’Algérie» (Bourgois), demeurent des ouvrages majeurs, sans concession le second, et inaltérables. Emmanuel Roblès (1914-1995), qui fit tant pour les écrivains pieds-noirs et algériens aussi en qualité d’éditeur au Seuil, dépeint, entre autres dans « Les Hauteurs de la ville » et dans « Jeunes saisons » (Seuil), le petit peuple d’Oran avec une immense tendresse que l’on retrouvera plus tard dans les romans de Louis Gardel. Algérois comme Camus, habité par Jules Roy, vivant à Paris, ce romancier puissant et délicat, éditeur au Seuil lui aussi, auteur du célèbre « Fort Saganne », traverse son œuvre au fil de l’Algérie. Et ce, depuis « L’Eté fracassé » jusqu’à « La Baie d’Alger » et « Le Scénariste », en passant par « Couteau de chaleur », « Notre homme », ou encore « Dar Baroud » (Seuil). Tous disent l’Algérie heureuse avec justesse, et aucun des personnages ne gémit jamais sur le paradis perdu ; ce qui est salutaire. Une autre voix précieuse est celle de Frédéric Musso, romancier de talent, poète concis et biographe avisé de Camus, dont il faut tout lire, notamment « Martin est aux Afriques » et « L’Algérie des souvenirs » (La Table ronde).  

     

    Romanciers sans pathos

    Et puis, il y a tant d'auteurs. Pêle-mêle : Jean Pélégri, et  « Les Oliviers de la justice », « Le Maboul » (Gallimard), et un livre-testament bouleversant : « Ma Mère, l’Algérie » (Actes Sud). Jean-Pierre Millecam, auteur du sensible « Et je vis un cheval pâle » (Gallimard). Annie Cohen et le si tendre « Marabout de Blida » (Actes Sud), Assia Djebar pour la violence salutaire de « Oran, langue morte » (Actes Sud). Il y a de la  « nostalgérie » soft chez Marie Elbe, et « A l’heure de notre mort » (Albin Michel), chez Janine Montupet, « La Fontaine rouge » (R.Laffont), et chez Marie Cardinal, « Les Pieds-Noirs » (Place Furstemberg). Ainsi qu'avec Norbert Régina, qui fut secrétaire général de la rédaction de L’Express jusqu’en 1987, et l’auteur d’une trilogie romanesque : « Ils croyaient à l’éternité », « La Femme immobile », « Les crépuscules d’Alger » (Flammarion). Dans « L’homme à la mer » (Orban) de Jacques Fieschi aussi. Citons encore Roland Bacri, disparu en mai dernier, qui fut « Le Petit Poète » du « Canard enchaîné » et l’auteur du « Roro », un dictionnaire pataouète qui ne prétendait pas donner le change au (Petit) Robert, car Paul Robert, l’auteur du dictionnaire éponyme, était lui aussi Pied-Noir ! Mention spéciale pour l’absence totale de pathos à deux livres parus récemment : « Trois jours à Oran », formidable roman d'un retour au lieu d'origine signé Anne Plantagenet (Stock), et au vibrant « Le Glacis », de Monique Rivet (Métailié). Sans oublier les Morgan Sportès, romancier né à Alger, Hélène Cixous, Oranaise et grande féministe, auteurs qualifié abusivement de pied-noir, car leur oeuvre n'évoque pas l'Algérie. Il y a par ailleurs le délicat Alain Vircondelet, Algérois et "durassien", l'éditeur né à Mascara Jean-Paul Enthoven, et même le grand Robert Merle! Enfin, last but not least, l'Algérois et "camusien" Jacques Ferrandez dans le domaine de la BD littéraire imprégnée par l'histoire de la présence française en Algérie.

     

    Philosophes de grand renom

    La philosophie n’est pas non plus en reste, avec des noms aussi prestigieux que celui de Jacques Derrida (1930-2004), d’abord. Le théoricien de la déconstruction naît à El Biar en 1930 dans une famille juive, et il restera en Algérie jusqu’en 1949, puis il y retourne pour effectuer son service militaire de 1957 à 1959, soit en pleine guerre. Il y retournera encore dans les années 70 pour y donner des conférences. Sa postface à « Les Français d’Algérie », de l’historien Pierre Nora (Bourgois), inédite jusqu'en 2012, est un bijou de 50 pages à l’adresse de son ami, auquel il reproche fermement d’être injuste à l’égard des Pieds-Noirs. Collègue de Derrida à Normale Sup’, le philosophe marxiste Louis Althusser (1918-1990) est également d’origine pied-noire, puisque issu d’une famille alsacienne installée au sud d’Alger, à Birmandreis. Le très médiatique Bernard-Henry Lévy, est né en 1948 à Béni-Saf. Son arrière grand-père maternel fut le rabbin de Tlemcen. BHL a quitté l’Algérie avec sa famille pour Neuilly-sur-Seine en 1954. Notons que Derrida et Althusser furent ses professeurs, rue d’Ulm. « Le plus beau décolleté de Paris » (Angelo Rinaldi dans L'Expres) a déclaré en 2012 que l’Algérie n’était « ni un pays arabe ni un pays islamique, mais un pays juif et français, sur un plan culturel »… Parmi les écrivains journalistes célèbres, citons rapidement Jean Daniel (Le Nouvel Observateur, qui fit ses armes à L'Express, où il couvrit la guerre d'Algérie). Et Jean-Claude Guillebaud, essayiste et grand reporter, né en Algérie d’un père charentais et d’une mère pied-noire. Il a grandi dans le Sud-Ouest dès l’âge de trois ans. Journaliste, il refusa obstinément d’y retourner pour ne pas raviver ce qu’il nomme « une dislocation originelle ». Jusqu’en décembre 2011, parce que « l’heure était venue » de retrouver l’autre partie de lui-même devant la Baie d’Alger... L.M.

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    GRANDES VOIX ALGÉRIENNES

    Il est impossible de dissocier les grandes voix de la littérature algérienne des années Camus à nos jours, de la littérature dite pied-noire. Parmi celles-ci et dès avant Yasmina Khadra dont l’œuvre rencontre un succès revigorant, nous trouvons Mouloud Feraoun, ses « Jours de Kabylie », et « Le Fils du pauvre » (Seuil). Feraoun n’a pas cinquante ans lorsqu’il est assassiné le 15 mars 1962 à Alger par l’OAS .

    Il y a Jean Amrouche et « L’éternelle Jugurtha » (L’Arche), qui eut ce mot : « L’Algérie est l’esprit de mon âme. La France l’âme de mon esprit ». Mouloud Mammeri  pour « La Colline oubliée » (Seuil). Mohamed Dib le tlemcénien, qui collabora au quotidien progressiste « Alger Républicain » avec Kateb Yacine, auteur de l’inoubliable « Nedjma » (Seuil). Dib signa notamment « Un été africain » (Seuil), dans les pages duquel il nomme toujours les « événement » que l’on appellera officiellement « Guerre » qu’en 1999, par le lapidaire vocable : « ça ». Mohammed Dib est aussi l’auteur d’une trilogie, « Algérie » : « La Grande maison », « L’Incendie », et « Le Métier à tisser » (Seui) qui paraissent au moment des années de braise d’une guerre sans nom et décrivent une terre rurale, pauvre, simple, quotidienne, aux dimensions ethnographiques précieuses. Il y a également Rachid Mimouni et son « Fleuve détourné » (Stock), Tahar Djaout, assassiné en 1993 (« Les Vigiles », Seuil), et plus tard Rachid Boudjedra et son puissant roman « La Répudiation » (Denoël). Citons enfin Leïla Sebbar, romancière et pilote, notamment, d’une admirable anthologie intitulée « Une enfance algérienne » (Gallimard), et Malika Mokeddem, pour son touchant roman « L’Interdite » (Grasset). L.M.